Les rencontres avec les ours sont … comment dire … ? désirées et fortement non-souhaitées en même temps, haha. Oui on a très envie de les voir, mais non, pas de trop près.
Oui ils nous intriguent, et oui ils nous effrayent.
C’est surtout parce qu’on connait mal leur comportement, et qu’on n’est pas habitués à les côtoyer.

Quand on se balade à terre, en début de saison, on est sans cesse sur nos gardes, l’élastique tendu très fort entre les omoplates, tous les sens en alerte, attentifs au moindre bruit, les yeux qui fouillent la végétation pour voir s’il y a une trace d’ours par ici ou par là … quand on arrive sur l’estran, on scrute la grève pour y trouver des empruntes de papattes, ou des jolis cacas, histoire de savoir s’il y a du monde dans le coin ou pas … On a toujours notre spray au poivre accroché à la ceinture, prêt à dégainer. Moi j’y ajoute souvent un sifflet, histoire de vraiment faire du bruit. Pour être “sereins” à terre, il faut en fait s’annoncer, faire du bruit, surtout ne pas les prendre par surprise.

Ce qu’on constate c’est en fait qu’on les voit quasi jamais, sauf dans des lieux où ils courent après les saumons à la belle saison. Et quand on les voit en dehors des périodes de pêche, c’est toujours de manière hyper fugace et de très loin … parce qu’ils sont bien plus trouillards que nous en fait !

Alors du coup voilà quelques jolis portraits et petites histoires récoltées entre la saison dernière et le début de celle-ci.

16 mai 2024, mouillés à Whitestone Harbour.

La journée au soleil nous a offert des panoramas somptueux !
Du bleu partout, c’est déjà un immense cadeau. Malheureusement pas de vent, et une température sacrément fraîche ; il fait 5 degrés dehors, au soleil c’est bien, mais à l’abri de l’air qui circule, sinon ça caille !!

En toile de fond, on aperçoit de mieux en mieux les sommets des glaciers et des montagnes, Nun Mountain, Mount Mc Ginnis et autres pentes enneigées, qui se dressent derrière le Icy Strait et le Lynn Canal, entre les contreforts de Juneau à l’est, et Glacier Bay à l’ouest.

La mer est super calme, quasi pas de courant, on est seuls au monde dans cette infinitude qui décline toutes les tonalités de bleu, réhaussées de ces magnifiques étendues blanches.

Arrivés au mouillage de Whitestone Harbour, on se retrouve dans une immense baie très plate, qui découvre un immense estran. Quelques rivières de-ci de-là, peu de courant, pas de poissons. Les tonalités sont très douces, dignes des plus beaux clichés alaskiens. Des troncs d’arbre morts illuminent le paysage, des souches plus foncées les structurent. Parmi ces souches, y’en a qui bougent … !! oh, des ours ! gros, énorme, une masse brun chocolat (plutôt foncé) se déplace tranquillement dans la prairie. Il est assez massif. Mais trop loin pour être correctement observé.

Un peu plus tard, on se décide quand-même à s’approcher (en annexe seulement, je refuse de mettre pieds à terre avec cette bête-là dans le coin), la marée est remontée un peu, diminuant la distance entre lui et nous … On l’observe, absorbés par cette grosse vachours qui broute qui broute, et qui doit sûrement manger aussi des coquillages. Il est assez tranquille, ne semble pas nous avoir calculé, son comportement n’indique rien hormis « je mange » …
On met finalement un pied sur l’estran pour pouvoir essayer de le prendre en photo, on observe aux jumelles, on scanne la rive et là paf, un autre apparaît en bordure de forêt. Et là c’est pas une vache, c’est plutôt la carrure d’un bison qui apparait dans notre champ de vision !! Enorme la bête ! Il a (oui, il, pas de doute possible) une bosse proéminente d’une taille impressionnante entre les deux épaules, des pattes massives, il est trapu, large, le poil brun chocolat chaud, lumineux sous le rayon du soleil, il a l’air tout doux, une grosse fourrure accueillante .. tu parles ! quand tu vois sa taille, il ne doit pas y avoir grand-chose d’accueillant. A vue de nez, juché sur ses quatre pattes, il doit bien nous arriver au niveau des yeux … un vrai gros beau ours brun, pas un grizzli, ni un noir, mais un vrai gros brun, genre le premier ours qu’on a vu en arrivant en Alaska l’année passée, du côté de King Cove.

On confirme qu’on ne s’approche pas et qu’on ne marchera pas à terre. En revanche, un tour en drône pour les voir depuis en-haut, ça peut être chouette ! On retourne au bateau pour s’équiper, et le temps de revenir sur l’estran, voilà deux autres nouveaux ours qui déboulent … c’est étonnant -pour nous qui ne connaissons pas bien les règles de la vie des ours- de trouver autant de gros mâles dans un espace aussi petit …. Sur les 4, je pense qu’il y a 3 mâles (vu les gabarits). Mais enfin, on les regarde de très loin, même si on aimerait pouvoir être tout près.

Au final, 6 ours se baladeront dans la baie en fin de journée … pas très loin, autour de nous.

   

Mardi 28 mai, Bluemouse Cove 

La journée qui commence à 6h30, je me réveille et j’aperçois par le hublot Hervé dans le zodiac, à l’arrêt à quelques mètres de la rive, l’œil rivé au téléobjectif. En face de lui, sur l’estran, un ours énorme.

J’attrape une doudoune, grimpe l’escalier, saisis les jumelles au passage, saute dans mes bottes, et me voilà sur le pont, jambes nues, à scruter l’animal. C’est un ours brun magnifique, puissant, tranquille…. On discerne bien le détail de son poil de couleur chaude, ses reflets, ses mouvements de tête lorsqu’il broute… c’est fascinant. Il reste quelques minutes devant nous avant de retourner sous le couvert de la forêt.

Je contemple encore de longues minutes la splendeur du paysage qui nous entoure, hautes montagnes enneigées précédées de promontoires de roche et de terre brune qui se peuplent en descendant vers la mer d’un tapis de feuillus vert tendre desquels émergent par places la haute silhouette sombre des conifères. Puis je quitte doudoune et bottes et replonge sous la couette.

Lundi 3 juin, vu la météo qui annonce un gros vent dans 2 jours, on choisit d’avancer pour aller se mettre à l’abri au bon endroit pour laisser passer le mauvais temps, et du coup de raccourcir la route prévue. Du coup, on décide de « sortir » et de prendre la mer, plutôt que de continuer dans les canaux. Quasi pas de vent, mais de la pluie. Depuis le dog-house, on doit vraiment se concentrer pour voir ce qui est devant le bateau : entre le brouillard, les nuages, la pluie qui tombe, les gouttes sur la capote, et la buée qui remonte du bateau à l’heure du thé, on distingue difficilement ce qui vient. Mais ça tombe bien, il n’y a rien.

Sur le chemin pour aller à Kalinin Bay, on s’arrête quelques fois pour tenter de pêcher (2 rockfish et une mini-sole, tous relâchés), et on fait quelques détours pour aller voir les baleines de plus près, mais elles sont souvent trop loin pour nous.

Arrivés à Kalinin, on se réjouit d’aller marcher un peu dans la plaine marécageuse au fond de la baie. Tout gaillards, on part la fleur au fusil, ou plutôt la canne à pêche dans le sac, la bouteille d’eau et la veste de pluie dans l’autre sac, et puis le bear-spray, le sifflet, le couteau dans la banane, à portée de main. Six oies nous volent par-dessus la tête et amerrissent dans la rivière un peu plus loin. Les hautes herbes vertes du bord de la rive viennent lécher le pied des feuillus, les racines des sapins moussues s’entremêlent et sont un terreau idéal pour les jeunes pousses.

On avance en faisant un peu de bruit, ici on s’annonce toujours ; on observe devant derrière à gauche à droite, le chemin du trail avance en sinuant le long des arbres, très proche de la forêt. Mais s’il était plus loin des arbres, alors on marcherait dans la rivière. Pas trop le choix, donc. J’avance en tête. Et tout à coup je m’arrête. Mon œil, habitué à détecter ce qui « ne doit pas être là », danger potentiel, identifie une grosse armoire massive brune dans l’herbe vert tendre. Non, c’est n’est pas une souche, ni un arbre, ni un caillou. Mais bel est bien un ours. Deux, trois ours en fait. Une grosse grande maman avec ses deux juniors déjà assez maousse-costauds. Mais juniors quand-même. Donc là c’est LE scénario à éviter absolument, et surtout ne pas les mettre en situation où la mère voudrait protéger ses petits de nous, et donc nous attaquer. Ou simplement nous charger, ou chercher à nous inquiéter … La petite famille doit être à 300 mètres de nous, sous notre vent. Merde, on n’a ni les jumelles ni le drône, alors on retourne chercher l’attirail au bateau. Retour si site, on se demande si les ours se sont rapprochés de nous, on s’avance un poil inquiets et complètement émoustillés, on y retourne avec envie et un certain frisson le long du dos. Ils sont toujours au même endroit, là où la rivière se sépare en plein de petits méandres laissant tout un tas de petits ilots herbeux. Les petits broutent, pêchent, jouent, l’un d’eux se dresse sur ses pattes, pendant que la maman fait la sieste. Ils ont des belles grandes oreilles qu’ils orientent dans tous les sens, et qui se dressent lorsqu’ils tournent la tête vers nous  ; c’est bon, ils nous ont repérés. Quand on les regarde avec les jumelles, ils ont l’air d’être tout près.

Hervé envoie le drône pour faire des photos, je lui suggère de filmer directement, je suis certaine que le bruit du drône va les faire fuir. Ca ne manque pas, à peine le drône s’approche que toutes les oreilles se redressent, les têtes se relèvent, la maman se dresse sur ses pattes, observe, rameute sa petite troupe, et sonne le retrait. Les voilà qui se carapatent tous les trois en courant dans l’eau, direction la forêt où les deux petits s’engouffrent. Dès qu’ils sont à l’abri, la maman s’arrête et observe, prête à les défendre si un danger devrait s’approcher. C’est sûrement pas nous le danger, on est bien trop trouillards 😉

Jeudi 6 juin, on ne mouille pas dans une baie, mais le long d’un sound, plus précisément dans un renfoncement du Nakwasina Sound.

Arrivés au bord de notre chenal, on est partis explorer la rive : large estran regorgeant de goémons jaunes du plus bel effet sous ce ciel gris, herbes vert tendre, parfois très touffues, parfois déjà sèches, poussant souvent comme une rizière ; 2-3 bras de rivière, des cailloux de toutes les tailles, toutes les formes, plutôt petits. Une trentaine d’oies Canada Gooses s’envolent à notre approche, et vont se poser un peu plus loin, il y a des jeunes parmi elles, aux plumages plus clairs, les pattes pas encore noires. Le scénario se reproduit plusieurs fois. Et puis cette fois c’est Hervé qui stoppe notre progression en nous montrant une maman ours et son ourson … On a les jumelles avec nous et on se régale ! elle se dresse sur ses pattes arrière pour mieux nous observer, son petit l’imite immédiatement, 4 oreilles pointées vers le ciel, les pattes avant ballant de côté, et puis très vite, ils se carapatent vers la forêt. On les aperçoit qui s’arrêtent, nous observent encore, et repartent en courant. Et … ils courent vite !!! Mais quel bonheur de pouvoir vivre ces moments privilégiés !!! on est plein de gratitude, béats, les sourires accrochés aux oreilles, heureux comme des rois.

Et quelques portraits sans histoires pour finir …

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