J’écris à la terrasse d’un bistrot sur le port à Raiatéa … un bon gros blues nostalgique égraine ses accords, belle mélodie à la guitare bien soutenue par une basse hyper sensuelle, et joliment décorée à l’harmonica. Les tourterelles polynésiennes roucoulent, le vent fait bruisser les fougères et autres plantes vertes de la terrasse, de jolis oiseaux trillent dans l’air et vocalisent dans le soleil. Ses rayons jouent avec les palmes des cocotiers et les nuances de turquoise du lagon.
Je demande à Hervé ce qu’il a envie de raconter de Tahiti et sa réponse fuse : oh b’en Tahiti rien de spécial, c’était juste une escale technique ! … mmmhhh, quand il me dit qu’on ne vit pas les mêmes choses, je ne peux que lui répondre qu’il a entièrement raison, haha !
Je me replonge dans notre voyage, ou le mien du moins, -on vous a emmené jusque dans les archipels des Gambiers et des Tuamotu pour l’instant-, et revis la traversée entre Tikehau et Papeete qui se fait à grande vitesse ; pas de mal de mer, le vent est bien établi, pour une fois la mer est dans le bon sens, et comble de bonheur, notre cap et celui du vent sont bien alignés. Du coup, après une nav express de 24h, nous voilà au pied de ce qui ressemble à un grand dôme assez bas sur l’horizon, assez plat. C’est un peu le même genre de profil que Tenerife. Mais ça c’est vraiment de loin, parce qu’en fait Tahiti c’est un cirque volcanique assez important dont les aiguilles et les arêtes culminent à 2000 mètres ; le massif est souvent chapeauté par un couvre-chef nuageux, et lorsque nous arrivons l’ile est plutôt dégagée. On est maintenant dans l’archipel des Iles de la Société. Les Iles du Vent : les deux iles de Tahiti et Moorea, et puis les Iles Sous Le Vent : les deux îles de Huahine, Raiatea et Taha’a dans leur lagon commun, Bora Bora et Maupiti.
Pour arriver à la Marina de Papeete, premier port digne de ce nom depuis … depuis … depuis Mar Del Plata (c’est dire … en Argentine en janvier 2020 !!!), on passe juste au nez de la piste de l’aéroport, ce qui fait que nous devons appeler la Vigie de l’aéroport qui nous donne son ok (ou nous demande de patienter si un avion est en approche) pour entrer dans la rade de Papeete. Sur notre bâbord, la zone commerciale portuaire, où arrivent les gros cargos avec toutes les denrées venant des continents, les moyens cargos qui livrent leurs trésors dans les différents archipels, et les navettes qui commutent avec les iles environnantes. Un peu plus loin, les quais des paquebots et autres gros bateaux touristiques ; sur tribord, les quais de Papeete, joliment aménagés, et les parcs à va ’a, les fameuses pirogues polynésiennes qui fendent l’eau sans bruit.
Droit devant nous, la marina et ses pontons où on redécouvre la vie joyeuse de la proximité, la vie et les bruits d’un centre-ville, la circulation routière bruyante, le son de la télé d’un voisin un peu sourd, le marché local coloré qui ouvre tous les matins à 5h et accueille les cultivateurs et distributeurs locaux, avec desfruitsdeslégumesdesperlesdelavanneriedestissusdessnacksdupoisson, les supermarchés accessibles (vous n’imaginez même pas ce que ça représente de pouvoir choisir entre plus de 2 fromages autres que du Kiri ou du BabyBel, d’avoir 5 parfums de yaourts à choix, des légumes en cascade et des fruits de toutes les couleurs, et je ne parle pas des beaux morceaux de viande devant lesquels Hervé salive déjà), plusieurs restaurants, et même des bons pour des gourmands comme nous.
Premières impressions … en lisant le guide touristique, je suis tombée sur le texte de Louis-Antoine de Bougainville de 1771 qui parle de nature luxuriante et généreuse, de peuples doux et accueillants, d’un sens de la communauté et du « savoir vivre ici et maintenant » « partout nous voyons régner l’hospitalité, une joie douce, le repos et toutes les apparences du bonheur ». Eh bien nos premières impressions sont assez similaires aux descriptions qui datent de plus de 250 ans … on n’a pas vraiment le sentiment que les choses ont beaucoup évolué depuis, hormis que Papeete compte beaucoup plus d’habitants aujourd’hui (150’000 personnes vivent sur Tahiti, soit 75% de la population de toute la Polynésie) … Bon à Papeete on a un peu le sentiment d’être « en ville » et hors de ce temps dont parle Bougainville, mais dès qu’on s’éloigne de l’agglomération, on retrouve vite cette atmosphère tranquille et sereine.
On arrive à Papeete avec un objectif clair et pratico-pratique : recevoir notre seconde dose anti-covid. Donc à peine sortis du bateau, on part à la recherche des centres de vaccination et des démarches à faire. On se présente au centre du Haut Commissariat, dans une belle bâtisse coloniale, grands auvents, toits légers, espaces de réceptions ouverts et généreux, jardins bien entretenus ; un labyrinthe de rubalise nous dirige en entonnoir vers une première équipe de triage, puis une seconde équipe qui nous remet les formulaires à compléter, puis un troisième stop sur quelques chaises où un pompier vient nous poser quelques questions, avant d’être dirigés vers les médecins qui nous piquent, puis ensuite pris en charge par des volontaires qui nous accompagnent vers les chaises où nous devons attendre les 8 minutes règlementaires avant de pouvoir lever le camp. Une fois de plus, nous bénéficions du système de santé local sans pouvoir rémunérer les prestataires qui prennent si bien soin de nous … Et force est de constater que nous sommes extrêmement peu nombreux à venir nous faire vacciner ! je pense que le personnel en place est au moins 10 fois plus nombreux que les visiteurs.
La vie de ponton a cela de chouette, c’est qu’elle permet aussi très facilement les rencontres. On vit épaule contre épaule en permanence, et chacun a envie de connaître l’histoire de l’autre, alors ça cause et ça s’invite souvent. Vraisemblablement certains bateaux sont là depuis un paquet de temps, et les équipages se connaissent très bien. On découvre nos voisins, Axel et Chloé, qui naviguent sur Venus. Leur projet : participer à la Globe Ocean Race de 2023, la Whitbread d’il y a 50 ans dans les mêmes conditions d’équipement pour les bateaux (pas de GPS, pas de …, pas de …, pas de toutes les technologies actuelles, et ils vont même jusqu’à autoriser la musique à bord selon les conditions de l’époque : cassettes à bandes !!! ). Le nom de leur projet : Arctic Stern. Ca fait des années qu’Axel en rêve, il s’est inscrit avant d’avoir trouvé le bateau pour pouvoir y participer, il l’a trouvé à Tahiti, il est venu y chercher Venus et le remonte sur le Canada pour pouvoir le préparer et se présenter au départ en 2023.
Et puis à Papeete on découvre Laurence, une cousine qu’on ne connaissait pas encore, charmante louloutte pleine de vie et d’énergie, qui vit ici depuis 12 ans avec sa famille. Elle et son chéri nous invitent à passer une soirée avec eux, et nous régalent d’un délicieux morceau de cochon, cochon élevé par Karen, une de mes cousines directes, qui a un élevage de cochons heureux en Haute-Savoie. Lequel morceau de cochon est arrivé directement de France planqué dans les bagages lors des dernières vacances de Laurence … mmmmhhh, quel régal ! Je partage ici le nom de l’entreprise de Karen et Arnaud, parce que la viande qu’ils produisent mérite tous les détours !! Exploitation Porcine 100% Plein Air – 73200 Venthon – https://www.porcin.fr/.
Après avoir fait connaissance de nos voisins, et partagé quelques autres apéros sur les bateaux, on a mis en route les travaux importants : le générateur ne fonctionnait plus très bien … on découvre que la fuite qu’il subit depuis quelques temps a complètement imbibé son cocon protecteur, et qu’il est abîmé rongé altéré par le sel de toutes parts ; l’électricien qui le répare l’a entièrement désossé, rincé, nettoyé, frotté, il brille maintenant comme un diamant au soleil. Hervé s’est un peu inquiété quand il a découvert le puzzle de 1’000 pièces sur son établi … mais chaque élément a retrouvé sa place ! Et puis le turbo, qui a été nettoyé avant notre TransPac doit être changé, ce que nous faisons exécuter. Et une fois de plus, des problèmes de pièces font que le réparateur nous installera deux fois un turbo neuf … ! pffffff
Pendant que les professionnels s’occupent de Myriades, nous on part visiter l’ile, et comme on a peu de temps (et que la météo est incertaine), on choisit de faire le tour de Tahiti Nui, d’aller jusqu’à l’isthme de Taravao qui joint la grande ile de Tahiti et sa presqu’ile, Tahiti Iti. Là-bas, on voudrait admirer l’iconique vague de Teahupoo, où se dérouleront les compèt de surf pour les JO 2024 …
Nous partons en balade (en voiture) vers le nord par route ceinturière Est, c’est-à-dire que nous allons tourner autour de Tahiti dans le sens horaire, et reviendrons par le sud, la ceinturière Ouest. A gauche, continuellement sous les yeux : la mer. A droite, continuellement à portée de main : le mur de végétation qui grimpe qui grimpe qui grimpe, raide, parfois vertical, et dans ses rares échappées, notre regard file vers les sommets volcaniques. Le temps de quitter Papeete et ses embouteillages, la circulation diminue gentiment et nous nous retrouvons relativement seuls sur une route super bien entretenue, qui ferait pâlir d’envie les cyclistes routiers.
On avance en serpentant le long des criques, on s’arrête au Trou du Souffleur (petit tunnel naturel dans la roche entre la côte et la mer, qui est surplombé par un terre-plein ; chaque fois qu’une vague vient s’écraser à notre droite sur la roche, on entend un gros souffle surprenant sur la gauche. Le Souffleur.
Un peu plus loin, c’est les 3 cascades de Faarumai qui nous accueillent, nous offrant un bain de pieds (baignade interdite ..) rafraichissant. Le lieu est en travaux, on ne peut pas explorer bien loin. La forêt tout autour est touffue, riche, resserrée, mêlant les plantes grasses aux épineux aériens, les cocotiers et les fougères, les châtaigniers polynésiens et autres arbres de fer.
En se rapprochant de la presqu’ile, les flancs de Tahiti Nui s’adoucissent et laissent place à des bocages où broutent de belles vaches blanches, face à la mer … il y a pire comme lieu pour vivre une vie de vache. L’isthme se découpe entre les tons de vert et de turquoise, déclinés à l’envi. On poursuit la balade jusqu’à Teahupoo, où on trouve une mer d’huile, un océan plat, limpide, glacis comme disent les sudistes. Difficile d’imaginer à quoi peut ressembler ce spot quand le vent et la mer sont à l’heure des surfers. Depuis la plage, lorsque la vague est formée et que les furieux s’adonnent à leur sport casse-cou (et néanmoins fascinant) on ne peut pas vraiment les voir prendre la vague et la surfer, c’est trop loin. Eux y vont en jet-ski, se font tracter bien souvent pour être au bon moment sur la vague, et s’enfiler dans le tube.
De retour sur Tahiti Nui, on s’arrête au Jardin d’Eau de Vaipahi où là encore on se régale de cette nature si généreuse et luxuriante. Les jardins sont magnifiquement aménagés et entretenus, c’est un véritable havre de paix. Petit tour au Marae aussi, lieu de cultes anciens ma’ohi, où se déroulaient cérémonies religieuses et rassemblements politiques. Ces lieux sont composés d’aires surélevées à 1 mètre du sol, recouvertes de pavés de basalte, où se tenaient les participants, avec des stèles et des pierres sacrificielles.
Tahiti, j’en profite aussi pour rendre visite à un artiste qui a joliment travaillé sur l’avant-bras de Hugo, car moi aussi j’ai envie de succomber au charme d’écrire mon histoire à fleur de peau … quelques symboles pour des valeurs importantes, un témoignage d’amour et de reconnaissance de moi à moi, une promesse faite à moi-même, … j’explique et je raconte, et je me retrouve deux petites heures plus tard avec une jolie représentation de tout ceci désormais chevillé au corps. J’adore.
Dans la suite de la balade géographique, il y a Moorea, juste en face de Papeete, au relief attirant et au profil hypnotisant, alors Moorea, on y va !
Bisous bisous, et à la prochaine histoire