On est mouillés au sud-est dans l’atoll de Makemo, coupés de tout réseau, seuls au monde. Presque.
On a quitté Hao le 24 juin pour arriver le 26 à Makemo, à temps pour fêter la nouvelle bougie de mon chéri. Pour cette belle occasion, une jolie daurade Coryphene a accepté de nous rejoindre à bord, juste avant l’entrée dans la passe. Les courants y sont sacrément appuyés, et on a sorti tous les chevaux de l’écurie pour entrer dans l’atoll.
On s’est rapidement arrêté au village pour faire un tour (trop bref !) et découvrir que l’épicerie y cuit des baguettes croustillantes, des pains au chocolat et des croissants. Ohlala, je ne vous raconte pas le plaisir du Capitaine au petit-dèj … Et le temps de s’extasier devant le frigo où nous attendaient 2 avocats et une salade … Si un jour on m’avait dit que je pousserais des cris de joie devant un frigo rempli de la sorte …
Dès que tu quittes le village de l’atoll, comme sur tous les atolls, tu peux choisir de te nommer Robinson ou Vendredi … : tu es seul au monde. Il n’y a rien. L’endroit où nous avons mouillé est magnifique et totalement paumé, isolé. On vit dans les 50 nuances de bleu, absolument incroyables, et tellement changeantes si soleil ou nuage, si vent ou pétole, … On est à nouveau le long de cette bande de corail recouverte de cocotiers qui protège le lagon du Pacifique, langue de « terre » déserté, hormis les cocotiers et leurs paysans.
Ici on a Théophile, propriétaire terrien de nombreux ares de cocoteraie, propriétaire et non moins paysan vivant de rien avec ses 3 ouvriers.
Partant nous balader, on passe dans l’eau, pas loin devant sa cabane. Il nous harangue de loin, nous fait signe de venir à lui. Et là il nous accueille comme s’il était le chef du village, nous installant tous les deux, l’un collé à l’autre, face à lui sur un petit banc de bois, et pendant que le reste de sa troupe terminait son repas de poisson grillé, il nous a raconté fièrement sa vie en grand seigneur, nous faisant servir à chacun une belle noix de coco toute verte et pleine d’eau. Parmi ses sbires, il y a 3-4 tahitiens qui récoltent le coprah avec lui : l’empereur Napoléon (les yeux bien rouges, le regard vague et le sourire édenté), le Prince Nolan (short tout aussi décati que celui de ses comparses, vieux bandeau sur la tête, ni chaussures ni t-shirt, comme beaucoup de paysans par ici). Et puis David, jeune et curieux, et Hubert, à la retraite, qui parle un mélange de français et de tahitien, et qui tient des propos pas toujours compréhensibles.
C’est des gars gentils, accueillants, leur sourire sont sincères et ils aiment partager leur histoire. Le Théophile en question a fait la légion étrangère pendant 20 ans, puis aurait été recruté comme rugbyman par la commune de Gex (!) à côté de Divonne, sa fille est née à Genève … le monde est tout petit !
Accueillants et très sympas ces hommes-là, mais un peu -comment dire- ou peu .. peu loquaces, c’est du coup mon inculture à moi qui se reflète dans cette phrase, je ne sais trouver le mot juste et respectueux pour décrire le résultat d’une pauvre scolarité, d’un horizon professionnel extrêmement limité (coprah jusqu’au bout de ta vie tu produiras) et puis surtout de la conséquence de l’abus de boissons non licites … Ils sont souvent bien imbibés avec leurs bières faites maison (eau de coco, levure et sucre qu’ils font fermenter…. ça ne donne pas du tout envie d’y goûter) et le dimanche c’est pire car ils ne travaillent pas.
Avec leur grand sourire et leurs beaux yeux brun profond, aussi dorés que leur peau, ils te font comprendre qu’ici c’est naturel de donner et de partager, alors ils accepteront avec grand plaisir tes cigarettes – mais juste tes cigarettes, pour le reste ils ont ce qu’il faut : eau de pluie, eau de coco, bières de la maison, poissons du lagon, café soluble, sucre et farine subventionnés, chant de l’océan, chant des oiseaux, chant du vent dans les arbres, et deux trois piles pour faire fonctionner le transistor pour écouter la retransmission du match France-Suisse. C’est d’ailleurs eux qui nous annoncent fièrement, tout en se bidonnant, que nos petits chuiches ont battu La France …
Je vous fais visiter leur maison … ? peut-être 20 mètres carrés tout inclus. On dit bien qu’au soleil il n’y a pas de misère, mais quand-même, par ici ça tient souvent du minimalisme essentiel : une pièce fermée à mi-hauteur en tôle rouillée avec des trous pour la fenêtre et une plaque de bois pour la fermer, un toit en tôle haubané pour éviter qu’il ne s’envole par grands vents, une espèce de chêneau récupérant l’eau de pluie pour la stocker dans un bidon de 100 litres, un évier avec égouttoir installé sur un châssis métallique rouillé, sans arrivée d’eau ni évacuation, tout se fait au seau, au bidon et repart à la nature.
Sur le devant de la pièce, un toit avance au-dessus de la « terrasse » où sont installés la table à manger et ses deux bancs, collés à 3 matelas de mousse sans draps, posés sur une planche et alignés au cordeau, où chacun stock son petit paquetage et sa couverture.
C’est une vie tellement spartiate, tellement simple, tellement à l’opposé de l’environnement dans lequel nous avons grandi, qu’il est difficile d’imaginer – au travers de nos nombreux filtres et de notre regard façonné par une vie aisée où tout est accessible – qu’ils puissent vivre cette vie-là toute leur vie. Et ils nous accueillent chaque fois avec un immense sourire, fiers de leur paradis.
L’eau est turquoise et cristalline, les petits requins pointes-noires et autres poissons coralliens nagent autour des patates sous le bateau, et il y a pas mal de vent donc on peut kiter quelques jours, c’est cool.
D’ici peu, on devrait se remettre en route avec Les Max, compagnons de longue route rencontrés à Mar Del Plata, pour aller cette fois directement à Fakarava, pour remettre mes plongées à jour et aller profiter de ces endroits mythiques pour aller « voir du gros » avec Nathan : requins variés, mantas, thons, … et plein d’autres espèces plus colorées.
Magnifique ! c’est un vrai bonheur de lire vos aventures, merci pour le partage…et profitez bien !! (mais je n’ai pas de doute)