Puerto Espagnol ou Bahia Aguirre, à l’entrée du Beagle (54°54 S – 65°56 W).
Refuge bienvenu pour deux nuits au calme, grande baie où se « jette » le rio Bonpland, petite rivière, espace tout tranquille où nichent les oiseaux locaux, au bord de laquelle paissent quelques chevaux sauvages. On y voit une petite maison qui laisse échapper un peu de fumée, on va essayer d’aller voir si on peut rencontrer quelqu’un. On débarque sur la plage, on se balade le long du rio, sur un banc de sable entre eau douce et eau de mer, langue de terre recouverte de bois morts, troncs les racines en l’air, branchages de toutes dimensions. On marche dans une herbe et une mousse dense, tapis épais qui recouvre un peu de terre sablonneuse et qui vient s’effilocher sur la plage.
On s’approche de la petite maison, plus de fumée en vue, pas de lumière à l’intérieur. Et puis tout à coup sort de cette petite baraque de planches et de tôles un immense sourire sur pattes, qui nous hèle « Hola !! hablan un poquito de Español ? Soy Sergio ! Y vos ? ». Présentation rapide, serrage de main pour les hommes, bisous pour moi, et puis « Ven ! Ven ! quiero ofrecerte un cafe, un té ! » non non, on ne veut pas le déranger, il a les mains dans la cuisine et les épluchures, on va se balader au bout de la plage .. Ok, il nous dit -en espagnol bien sûr- « ok, allez vous balader, et puis comme ça au retour de votre balade on boit un café ensemble. Et puis allez voir au bout de cette plage, vous trouverez une pyramide, une œuvre d’art, et puis un peu plus loin, une inscription gravée dans la pierre d’un bateau qui est passé par là en 1885, et puis si vous revenez par la rivière, vous verrez la castoreraie, et puis l’ancienne Estancia et son jardin, … » le tout avec un sourire qui lui fait le tour de la tête, le voilà transformé en guide touristique local, avenant et très sympa.
On se remet en route, et on va chercher cette fameuse pyramide. On la trouve, on s’interroge, et Sergio nous expliquera plus tard que c’est l’œuvre « El Alma del Mundo » de l’artiste Rafael Trénor (almadelmundo.com) qui a été installée ici en 2008 ; les 8 coins d’un cube à l’échelle de la planète, inséré dans la Terre, qui ressortent à 8 endroits « sur terre », dont un ici. On se balade dans la castoreraie, on explore un peu les environs, et puis on se redirige vers sa petite baraque sur la plage, pour aller rencontrer un peu ce bonhomme super accueillant.
On arrive, il nous guette, il a pris le temps de mettre une chemise sans trous et de finir sa cuisine, de mettre l’eau à chauffer sur l’un des poêles à bois, une attitude super ouverte qu’on comprendra mieux au fil de toutes les histoires qu’il nous raconte. Il doit bien avoir 35-40 ans pas plus, sportif, érudit, curieux, attentif à l’autre (il met vite de la musique française pour nous faire plaisir, M pour le plus grand bonheur de Hervé …), heureux de chaque rencontre. On lui dit « Tu pais es mas lindo, magnifico ! » et lui de répondre « No es lindo, no no, es el paradiso !! » avec une telle conviction et un tel sourire qu’on ne peut que le croire. Il a choisi de renoncer à la vie en société et en ville par conviction et envie de se retrouver connecté à la nature. Il a beaucoup baroudé en Amérique du Sud et en Afrique, et puis avait vraiment envie de venir s’installer dans cette petite baie qu’il affectionne particulièrement. Ca fait plus d’un an qu’il y vit, seul, coupé du monde, sans électricité et sans connexion (sans téléphone satellite ni radio, sans frigo, sans technologie moderne sauf un vieil IPod pour la musique et un petit haut-parleur, et puis son appareil photo de top qualité), la route la plus proche est à 5 jours de marche dans la forêt, il a complètement retapé sa maison tout seul, avec simplement ses deux mains et sa tête ; il doit du coup être inventif, attentif, penser à tout correctement pour ne pas se mettre en danger ni se blesser puisqu’il ne peut pas appeler les secours. Il a créé un piège à taureau pour avoir de la viande de temps en temps, mais n’a pas d’arme pour abattre les bêtes, il travaille au lasso, à la pierre et au marteau … et puis doit tout dépecer et transporter les pattes entières des taureaux jusqu’à son garde-manger ; elles font bien les ¾ de sa hauteur. En 15 mois, il a tué et mangé 3 taureaux … Sinon, au niveau victuailles, le bateau de l’Armada lui livre 2 à 3 fois par an un stock de produits divers, farine, légumes, fruits, fromages, et autres choses dont il a besoin pour vivre rudimentairement. Et parfois quelques bateaux passent et lui laissent un peu de leur propre stock.
Il nous explique qu’en moyenne, 30 bateaux s’arrêtent chaque année dans sa baie, et seulement 5 équipages descendent à terre et viennent lui dire bonjour ! On comprend mieux son envie d’inviter les passants à venir boire un café et s’arrêter un moment avec lui, et il s’excuse même du fait de trop parler, mais comme il peut échanger une fois tous les deux-trois mois … on se régale pendant 3 heures en sa compagnie, dans un doux mélange d’espagnol (beaucoup), d’anglais (moyennement) et de français (un petit peu) puis on retourne au bateau pour vider notre stock de fruits et légumes dans sa besace, puisque dans deux jours on sera à Ush …
Nous quittons l’Eden de Sergio au petit matin, le soleil levant se reflète dans ses fenêtres, nous envoyant un dernier clin d’œil de la lumière qui habite l’homme du lieu. Sergio. Joli cadeau. Vous pouvez le « googler » : Sergio Anselmino. Il fait de la photo et de la vidéo pour remplir son garde-manger …
Très joli moment de vie, illustrant bien ce qui nous régale dans ce voyage, mais que nous avons trop peu vécu jusqu’à ce jour (la faute au temps, au lieu, aux gens, à nous, on est trop frileux peut-être, je n’en sais rien, mais je constate que les occasions semblables ont été peu nombreuses).
Magnifique rencontre! Merci et bisous à vous deux
Tout simplement magique. Merci du partage 💞
Superbe texte qui nous fait rêver et en même temps partager votre rencontre! Merci Mélanie!! 🙂
L’heureux homme que voilà !