Rencontres baleinistiques

Si l’Alaska nous séduit tant (non non, c’est pas le climat sérieusement pluvieux qui nous ravit ici), c’est bien par sa nature animalière, sauvage, brute, loin des hommes, et les rencontres magnifiques avec la faune marine.

C’est toujours imprévisible, fugace, stupéfiant, captivant ; ces rencontres ont un attrait quasi magnétique, on ne peut s’en détacher, on ne peut s’en séparer, c’est chaque fois à regret qu’on quitte la scène, ou qu’on laisse le bateau s’éloigner.

On vous raconte ici quelques épisodes marquants.

 

Péninsule Kenaï (juillet 2023)

La première fois qu’on a assisté à une scène de baleines en chasse, c’était au pied de la péninsule Kenaï, entre l’ile de Kodiak et le Prince William Sound. Il faisait grand beau, l’eau était ridée par un petit vent léger, les iles vertes et bleues se détachaient des montagnes enneigées en arrière-plan, le paysage était vraiment éblouissant.

Nos amis nous avaient signalé la présence de groupes (pods) de baleines dans le coin, et nous avaient dit « guettez les oiseaux, observez les mouettes et les goélands, ils vous guideront jusqu’aux baleines ». Ok. On guette. On guette aussi les bateaux touristes qui se tiennent immobiles sur certaines zones, c’est une bonne info de potentielles scènes d’observation.

On repère les bateaux, on repère les mouettes, on guette, et on observe.

C’est là qu’on découvre deux-trois groupes de baleines à bosse (Humpback wales) qui semblent assez coordonnées puisqu’elles nagent et plongent toutes en même temps, pour ressortent de l’eau d’un seul mouvement, à la verticale, hyper groupées, la tête en l’air, la gueule grande ouverte, la poche de leur gorge largement dilatée, emplie de centaines de litres d’eau pleine de petits poissons (harengs en général, mais des saumons qui chassent aussi les harengs doivent bien se faire prendre au piège …).

Et puis les gigantesques gueules se referment dans un grand clap, et disparaissent comme elles sont apparues, se laissant couler sous la surface. Des corps et des nageoires réapparaissent, ça frappe l’eau, on aperçoit un ventre, une grande pectorale blanche, quelques dos noirs et lisses, puis quelques caudales et les voilà reparties vers les profondeurs, préparant leur prochain assaut, leurs prochaines bouchées.

On a assisté à notre première séance de Bubble Feeding. Incroyable. Fascinant.

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On reste une bonne heure sur place à les observer (on est sous moteur, les voiles sont rangées, et en gros, elles sont à 200-300m du bateau), à guetter les oiseaux pour savoir où les immenses bouches vont surgir ; les groupes ne chassent pas tous au même endroit, on ne sait pas trop où donner de la tête tellement le pestacle est fascinant.

A un moment, on voit les oiseaux se rapprocher de nous, tournicoter dans tous les sens, aller et revenir, et puis tout à coup, revenir très vite dans notre direction … Aha. Ok. On a tous les quatre les yeux rivés sur l’eau, et on entend Nathan tout à coup « je vois des bulles ! je vois des bulles, là, qui remontent le long de la coque !!! » et puis « avance Hugo, avance, avaaaance !!!! » et à son tour, Hervé  « Hugo, freine !! freine !!!! » et puis tous ensemble « elles sont là ! elles sont là, devant !!! » et devant, c’est à 5 mètres de l’étrave de Myriades …. !

On est au milieu d’un ballet de gueules grandes ouvertes et de mouettes qui piaillent et volent dans tous les sens, ça nous éclabousse de turquoise et d’écume, les gueules bleu sombre de la peau des baleines, striées de gris et de blanc, sont tendues vers le ciel, semblent suspendues indéfiniment, puis s’effacent gentiment sous la surface … On n’en revient pas. Puis ne restent que les mouettes qui se jettent sur les restes …

C’est nous qui sommes bouche grande ouverte, bouche bée, sonnés par cette pêche miraculeuse sous nos yeux. Au moins 15 baleines de la taille de Myriades sont venues nous inviter à leur table, le temps d’une bouchée. Merci les amies.

 

 

Tenaki Spring (mai 2024)

On est à Tenaki, village de 80 habitants (en été, 10 à l’année), le long du Chatham Strait, à l’est de l’ile Chicagof/Baranof, île qui abrite la petite ville de Sitka.

Dans le petit port de pêcheurs de Tenaki, composés d’une demi-douzaine de pontons, on est amarrés à l’intérieur du ponton extérieur, avec des jolis chalutiers de toute taille non loin. Les pontons flottants sont maintenus par de longs piliers bétonnés dans le sol, espacés de 15-20 mètres les uns des autres. Il doit y avoir une soixantaine de bateaux dans le port.

On entend régulièrement au loin les souffles de baleines, Hervé a vu passer un pod d’orques aux jumelles, il y a du monde sous l’eau, c’est sûr. Et là, on entend le souffle d’une baleine de plus en plus près, jusqu’à voir le dos d’une belle humpback passer juste à l’extérieur de notre ponton, à 5 mètres du bateau. On l’observe, elle longe le ponton, puis plonge, et ressort à l’intérieur du port. Elle chasse, seule, les bancs de harengs s’étant réfugiés pensaient-ils à l’abri, près des bateaux.

Elle passe une heure dans le port à faire du bubble-feeding toute seule, cernant les bancs de harengs de sa barrière de bulles, et puis remontant à la surface la gueule grande ouverte pour se gaver, et sitôt replonger.

Sa mobilité nous fascine, sa souplesse, sa capacité à se mouvoir au milieu des poteaux et des bateaux sans rien toucher, sans rien heurter, son aisance à déplacer cette masse, son volume impressionnant … Voilà quelques images :

 

Tatcher Point, en face de Angoon (juin 2024)

Après le bubble-feeding en groupe de Kenaï, puis la chasse solitaire d’une baleine dans le port de Tenaki, nous découvrons cette fois la magie du bubble-feeding d’une maman baleine accompagnée de son veau, qui font du lèche-cailloux.

Je dis magie, parce que c’est la première fois que nous pouvons filmer les baleines en action en prise de vue aérienne. Les images nous laissent pantois, fascinés, ébahis.

C’est absolument somptueux d’observer les mouvements de la baleine et de son bébé, leurs déplacements synchrones, leurs ondulations dans le même tempo, découvrir les jeux de l’un et la virtuosité de l’autre à freiner sur ses « pattes arrière » pour amorcer un virage serré …

Les images révèlent aussi les mouvements que nous avions compris mais jamais vus : le plongeon de la baleine sous les bancs de poissons, puis le cercle qu’elle amorce en s’élançant sur le dos pour souffler ses bulles vers la surface en une danse concentrique de plus en plus serrée, avant de percer le plan d’eau la gueule ouverte pour engloutir tous les petits harengs pris au piège de bulles.

Notre chance ce jour-là : une eau calme, peu profonde, et du soleil. Les variations de couleur des algues et les profondeurs d’eau rajoutent de la beauté à cet instant unique.

A vous de savourer, nous on ne s’en lasse pas. Montez le son, mettez l’image en plein écran, et régalez-vous.

Tebenkof Bay (juin 2024)

La baie de Tebenkof se situe au sud-est de l’île de Sitka, non loin de l’embouchure sud du Chatham Strait qui déboule dans le Pacifique. A cet endroit, le Chatham est profond d’au moins 300 mètres. Tebenkof se situe sur un plateau sous-marin à 50 m environ de profondeur. Ce qui explique la présence régulière des baleines par ici : les bancs de poissons remontent Chatham pour venir dans les eaux plus calmes de Tebenkof, et comme les petits poissons se font manger par les moyens poissons, et que les gros poissons mangent les petits et les moyens poissons, résultat des courses c’est que dans Tebenkof Bay tu croises autant de pêcheurs que de baleines.

Notre surprise ici, c’est l’organisation de la chasse des baleines, et leur communication entre elles !! Stupéfiant ! On était pendant un moment en discussion à la radio avec Réjane et Charly de LONGTEMPS SUR L’EAU, et puis leur radio crépitait, on ne les entendait plus trop bien. Un peu de silence, et puis tout à coup : coup de corne de brume, bien sonore bien puissant … on se demande ce que c’était, on rappelle LONGTEMPS « tout est ok chez vous ou pas ? pourquoi vous sortez la corne de brume ? » et eux « nan nan, c’est pas nous, tout va bien » … ok, mais alors, qu’est-ce ?

Eh bien ce sont les baleines !! qui disaient haut et fort, clairement, « rappliquez les gars, c’est par ici que ça se passe » … Et … et c’est juste fabuleux. Merci la Vie pour ce cadeau !

Le ciel et l’eau sont gris, et entre les deux, défilent à toute allure des silhouettes bleu-gris quasi noires, …ailerons, nageoires, dos ronds, longs « troncs d’arbre », belles caudales, des baleines à profusion. Elles évoluent en groupe, en pod, et coursent les bancs de poissons, les encerclent de leurs bulles, les happent de leur grande gueule, et repartent contentes, battant l’eau de leur nageoire pectorale.

Train de baleines

Ce qui nous fascine aujourd’hui, c’est leur « ordre de marche ».
Clairement il y a un.e chef.fe qui décide ce qui se passe, où et à quel moment. Retentit tout à coup dans l’air un coup de clairon, tel une corne de brume bien sonore, bref, vrai coup de canon, puis voilà un train de baleines qui nage en surface, les unes derrière les autres, soufflant de concert, et ça tchoutchoutte à tue-tête, nuages d’eau sortant de leur évent juste à la surface, toutes dans la même direction, ça souffle dans les tuyaux, puis un autre signal, et les voilà qui sondent les unes après les autres.
Eau calme.
Silence.
Et puis la surface de l’eau se modifie et voilà quinze-vingt gueules dans un mouchoir de poche qui surgissent des profondeurs, s’ouvrent grand, et d’un vaste clap se referment sur une énorme bouchée d’océan. Puis repartent d’où elles sont venues, disparaissent sous la surface. De-ci de-là une caudale encore, quelques nageoires pectorales battent l’air et l’eau comme si les baleines se frottaient le ventre, et l’eau se calme à nouveau. Et quelques ronrons très bas, vibrants, profonds, comme un gros « mmmhhh, c’était bon », un son de contentement, tellement puissant, sourd, intense …

Elles nagent et déambulent tout autour de nous, où qu’on regarde on en voit à 200-300 mètres du bateau ; il y a en a bien 50-60 dans la baie. Certaines viennent tout près de Myriades, nous évitent soigneusement. Derrière nous, un gros morceau de Humpback s’amuse à sauter haut, 2-3 fois, sortant de l’eau à la verticale jusqu’à avoir ses deux pectorales dans l’air, et retombe sur son dos.

Puis le ballet reprend, les trains se remettent en route, ronronnant, soufflant, claironnant haut et fort, on a parfois le sentiment d’entendre le ronronnement d’un lion ou le barrissement d’un éléphant, souvent des souffleurs dans de longs tuyaux, comme Jean qui souffle dans une bouteille. Puis silence. Puis les claps des bouches ouvertes.

Puis on se donne le clap de fin, on a vraiment  de la peine à s’extraire de ce spectacle. On remet le moteur en marche à reculons, mais hormis les baleines, il y a aussi les saumons qui nous attendent 😉

Pour nous consoler de ce départ, un dernier cadeau : une grosse baleine surgit de nulle part devant nous, s’élance vers le ciel, sort entièrement de l’eau, et se cambre sur la droite avant de replonger, ou plutôt de resplasher dans une énorme gerbe d’eau. Incroyable moment suspendu en l’air et dans le temps, stupéfiant de voir cette masse si imposante totalement hors de l’eau, à l’horizontale au-dessus de la surface, puis plus rien. 2 secondes furtives, 2 secondes d’éternité. Merciiiiiiiiii

Vidéo à venir …

 

 

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