La légende des Marquises … Légende de la terre des hommes “Haakakai o te henua enana”
Jadis au temps anciens, le soleil brillait sur la mer il n’y avait pas d’îles.
Oatea vivait avec sa femme Atanua. Ils n’avaient pas de maison. Un jour, Atanua dit à son époux Oatea : « Quelle est cette façon de vivre sans maison ? ».
Oatea se tut : il ne savait comment construire la maison. Mais il réfléchit, en lui-même, aux moyens à employer. Ensuite, la pensée de Oatea se fixa sur ses pouvoirs divins. Éclairé par les forces divines sur ce qu’il devait faire, il fut satisfait, et le soir même, le mari dit à sa femme : « Cette nuit je bâtirai notre maison. ».
La nuit s’apprêtant à descendre, Oatea se dressa et invoqua ses forces de la façon suivante :
Racines longues, racines courtes,
Racines énormes, racines minuscules, dressez la maison !
L’invocation terminée, il choisit l’emplacement de la maison. Puis, ayant dressé deux piliers, il dit alors : « C’est Ua Pou ! ».
Puis, Oatea ayant pris la poutre faitière, il la posa sur les deux piliers attachés avec la corde en fibre de coco. Il dit alors : « C’est Hiva Oa ! ».
Ensuite, il fixa les potelets de façade, la traverse de l’auvent, les poteaux de soutien et la poutre inférieure. Oatea fixa ensuite les chevrons à l’avant, à partir de la poutre faitière jusqu’à la longue traverse, puis à l’arrière jusqu’à la dalle de pierres. Il dit alors : « C’est Nuku Hiva ! »
« Avec quoi couvrir la maison ? Avec des palmes de cocotiers ». La couverture fut réalisée selon la technique des 9 parts. Il dit alors : « C’est Fatu Hiva ! ».
Oatea creusa un trou pour parfaire son travail, bien que l’aube soit très proche.
La voix de Atanua a crié : « L’image lumineuse scintille » Il dit alors : « C’est Tahuata ! »
Elle ajouta : « le chant de l’oiseau du matin se fait entendre » Il dit alors : « C’est Mohotani ! ».
Oatea travaillait toujours, il ne s’arrêtait pas jusqu’à ce qu’il ait fini le trou. Le trou terminé, Oatea dit :. « Je ramasserai les débris et les mettrai dans le trou. » Il dit alors : « C’est Ua Huka ! »
Le ventre du soleil s’épanouit au contact du mur céleste, Atanua s’est écriée comme ceci : « Voici ! Voici ! Voici que s’illumine la Terre des Hommes ! » Il dit alors : « C’est Eiao ! »
Visible au milieu du grand océan, la maison ancestrale, dénommée La Terre des Hommes.
Fatu Hiva, promesse de découvertes et de réjouissances marquisiennes
Fatu Hiva, par où commencer … tant de choses à dire, à raconter, à partager… L’arrivée au petit matin en bordure d’un relief découpé à la scie, l’accueil chaleureux d’Athanase le sonneur de cloche, l’appel à la messe tous les soirs à 17h, oui, tous les soirs, le ressac incessant qui oblige à tout faire à une main dans le bateau (la deuxième est nécessairement accrochée quelque part pour éviter de tomber), la faune sonore, la flore incroyablement riche, variée, généreuse, la géologie époustouflante, les coqs partout, la beauté du soleil couchant sur un horizon immensément large, les rafales qui déboulent des falaises nous soufflant 20-30 nœuds dans la figure au passage, les manguiers chargés de fruits (pas mûrs encore, et innaccessiblement perchés haut dans les arbres), le bruit de la scie de Léon qui taille les cailloux, les délicieuses tomates d’Henriette, le terrain de foot, les enfants qui mangent une ice-cream sous un arbre, les poules et les petits cochons qui traversent le chemin, l’homélie en marquisien et les chants si touchants, les tikis présents un peu partout, les terrains bien entretenus, la jungle touffue, l’eau bleu pétrole, verte, grise, noire, sombre comme le plomb … c’est ici une toute autre histoire qu’aux Tuamotu. C’est varié, riche, vivant, multiple, les possibles sont nombreux, ça donne envie (sauf de se baigner) !
Après 4 jours passés entre Omoa et Hanavave, je peux comprendre qu’on tombe sous le charme des Marquises. On se laisse bien plus facilement attraper par leurs atours que par ceux des autres archipels. On quitte l’horizontalité des Tuamotu pour redécouvrir notre verticalité, qui s’élève dans un même élan que celle de ces îles magnifiques.
On est arrivés au petit village de Omoa, qui s’étend dans une des vallées du sud-ouest de Fatu Hiva. La rue principale et unique s’étire sur 2 km, 2 km 5, puis se termine dans la jungle. La rue est une simple route cimentée dans le village, puis se transforme en chemin de terre sèche très rapidement. A gauche, à droite, lopins de terre riches de leurs arbres fruitiers, à l’herbe bien taillée, abritent des petites maisons avec un auvent, un toit en tôle, une ou deux pièces avec rideaux sans battants de fenêtre, un certain nombre de chiens accrochés aux arbres ; parfois quelques cochons, chèvres complètent l’équipe, les poules et les coqs eux circulant librement entre les maisons. Certains cultivent la vanille, d’autres la banane, pour les faire sécher toutes les deux et les vendre à Tahiti. Les pamplemousses, citrons, mangues, mangues, maaaaaaangues, oranges, papayes, avocats, fruits de la passion, raisins et autres fruits poussent poussent et repoussent sans besoin d’un grand travail. Il faut plutôt les contenir d’ailleurs, sinon ça foisonne.
Quelques personnes se donnent la peine de cultiver de la salade, des tomates, du pota (un chou proche du pak choï), du tarot (gros tubercule), d’autres élèvent des poules et des cochons, d’autres encore vont chasser la chèvre ou les font grandir dans leur enclos, et chacun vend, troque, échange ses produits contre ceux de ses voisins, et puis complète pour le reste à l’épicerie. Deux épiceries d’ailleurs ; distantes de 50 mètres l’une de l’autre, elles offrent à peu près le même choix de produits, se font un poil concurrence mais pas trop.
Quand on est arrivés, on n’avait plus que quelques pamplemousses (pamplemousses des Marquises achetés dans les Tuamotu !) dans le bateau comme produits frais, on est donc partis à la recherche de fruits et légumes. On s’est donc simplement baladés dans le village en regardant ce qui poussait dans chaque jardin, et on a approché chacun-chacune en leur demandant s’il était possible de leur acheter quelques fruits … on a commencé par les papayes, chez Chita. « Ka’hoa, comment vas-tu ? C’est bien toi Chita ? on s’appelle Hervé et Mélanie, on vient d’arriver en bateau. C’est magnifique ici, vraiment ! on se réjouit de découvrir ! Dis-moi, c’est possible de t’acheter quelques papayes ? oui, 2 ou 3 pas plus. Si si, je veux te les acheter ! non ? tu ne veux vraiment pas que je te les paie ? oh b’en merci alors, c’est vraiment gentil ! » (il faut dire qu’aux Marquises, la papaye est considérée comme bonne à manger pour les cochons) … et puis je me retourne et je découvre un avocatier de l’autre côté du chemin. Je vais en tâter un ou deux, pas trop mûrs .. Du coup Chita se lève, va chercher une longue perche munie d’une griffe et d’un filet, et commence à cueillir des avocats sur son arbre. Il revient vers nous, et nous dit « bon, pour les avocats, ça fait mille francs (francs pacifiques bien sûr)» Ok, 8 francs pour 6 gros avocats bio, y’a rien à dire. Et puis on continue à le questionner à propos de ce qu’il fait pousser sur son terrain, et on repart avec des fruits de la passion en plus. On lui demande où on pourrait trouver des salades, et des mangues, il nous indique quelques maisons. On s’y rend, sans succès.
Sur le chemin du retour, je m’arrête pour saluer un homme et lui demander s’il sait où on peut trouver des salades, il tend l’oreille, ne m’entend pas, et appelle Karen, sa fille. Surprise, on la connaît ! Lorsque nous étions à Papeete nous sommes allés visiter le salon des Marquises (grande foire qui a lieu deux fois par an) où on a pu rencontrer plein d’artisans venant des différentes îles que nous allons parcourir. On discute un petit moment, puis elle nous dit que son oncle cultive des salades, alors elle nous emmène le voir, deux maisons plus haut. Pas de salades, mais des tomates, absolument délicieuses. Impossible à nouveau de les payer, alors je promets un gâteau au chocolat en retour. Et du coup, on se retrouve avec 4 pamplemousses en plus aussi dans le sac … Juste incroyable. Tellement simple, tellement facile, évident. Un sens de l’accueil et du partage dont beaucoup pourraient s’inspirer. C’est vrai que la nature est généreuse et qu’il n’y a qu’à tendre la main, mais tout de même … bravo, et merci, humblement, immensément.
Je demande à Karen où je peux voir quelqu’un fabriquer un tapa, cœur de l’artisanat local. Le tapa est une feuille de « papier », faite à partir d’écorce de mûrier. Je vous expliquerai tout à l’heure comment ça se travaille. Karen normalement en fabrique, mais pas en ce moment. Du coup, elle me donne le téléphone de sa cousine, Cécile, qui en fait aussi. Je l’appellerai plus tard.
En passant à l’épicerie, une femme m’interpelle, « c’est toi Mélanie du voilier ? » euh oui, faut dire qu’on ne passe pas inaperçus, nous sommes les seuls popas du village, le seul bateau ancré dans la baie, donc c’est sûr, tout le monde a vite fait de nous identifier. Pour nous c’est plus difficile … on salue au moins 3 fois la même personne avant qu’elle rigole en nous disant « on vient de se croiser vers l’école, et puis vers la poste » … Enfin bref, donc cette femme c’est Cécile, la cousine de Karen. Qui me dit qu’elle ne fait pas de tapa en ce moment, mais que c’est possible que sa belle-sœur Solange en fasse … et me voilà repartie avec le numéro de tel de Solange, que j’appellerai demain !
Autour du village, à gauche et à droite, les flancs de la vallée grimpent de manière assez raide, plus ou moins abrupte selon les endroits. La roche brun foncé, parfois noire tirant sur le rouge ou sur l’ocre, se dessine sous le manteau vert, ou s’élancent vers le ciel, les falaises verticales et puissantes. La végétation, luxuriante, mélange cocotiers, manguiers, pamplemoussiers, citronniers, orangers, palmiers variés, falcata et autres arbres, parfois tout ronds, parfois très grands. Dans le fond de la vallée, le profil dentelé des montagnes découpe ses nombreuses crêtes, les tombants se découpant de vert, de gris, des pentes très pentues, les sommets grimpent à plus de mille mètres.
L’ile de Fatu Hiva est comme un gros haricot (pas vert, mais plutôt du format flageolet), avec deux grandes calderas issues des volcans créateurs. La côte Est, au vent, est la plus arrosée, et la côte Ouest est bien verte quand-même. Les vallées descendent toutes depuis le centre, rappelant la forme d’un presse-agrume. Il n’y a pas de route pour passer de l’une à l’autre, et seules deux vallées sont habitées. Tous les trajets se font par la mer, sauf entre Omoa et Hanavave (et sa fameuse Baie des Vierges) qui sont reliés par la route en cours de cimentage. Les jours de grandes pluies, les 4×4 doivent avoir bien de la peine à se hisser vers les sommets sur la piste rouge. Cette géologie est similaire dans toutes les iles des Marquises, seule la forme de l’île diffère, et les climats sont plus ou moins secs.
Il y a peu d’abris pour les bateaux aux Marquises, du fait de ce relief si particulier : iles escarpées sans lagon corallien, eau de “pleine mer” et vents catabatiques dégringolant des sommets, les mouillages “calmes” sont peu nombreux. On a jeté l’ancre dans les baies de Omoa et de Hanavave, et chacune ont leurs inconvénients et leurs beautés.
A Omoa, l’inconvénient majeur est lié à la houle et au ressac qui nous obligent de vivre à une main dans le bateau, de fermer tous les tiroirs et les placards, de tout caler pour éviter les plaisirs d’habitude réservés à la navigation. La beauté du lieu : sa petite communauté accueillante, où après 3 jours on connait le prénom de quelques habitants et quand on croise quelqu’un, on s’arrête pour parler avec l’un ou l’autre ; ils ont envie de savoir qui on est, d’où on vient, sont fiers de nous expliquer qu’ils sont travailleurs, artisans, que chacun fait quelque chose pour vivre ; ils sont de fervents religieux, la messe a lieu tous les soirs ; on y retrouve la caissière de l’épicerie comme servante du culte, l’un des employés communaux comme sonneur de cloche, les trois rérés aux ukulélés comme enfants de chœur ; comme à Fakarava, c’est génial de sentir cette appartenance, cette communion qu’ils vivent au quotidien en liant à l’unisson (et chacun son registre) leur voix aux chants religieux, chants marquisiens qui -je crois le deviner- parlent de ce beau pays.
L’inconvénient majeur à Hanavave : les rafales qui déboulent de la vallée à fond de train. Mais l’eau reste plate, bénéfice majeur, la baie est plus large, le ressac se fait moins sentir. La beauté de Hanavave : sa baie, la fameuse Baie des Vierges. Les pains “de sucre” de basalte et les monts abruptes s’élancent dans le ciel, nous ne nous lassons pas de laisser nos yeux vagabonder sur ce paysage, dont la découpe évolue tout au long de la journée grâce au soleil qui en révèle la magnificence.
Et nous avons la chance d’être seulement trois voiliers ancrés entre les deux parois abruptes, face à la petite église St Michel et le tout petit village. Ici vivent peut-être 200 personnes (contre 300 à Omoa), cultivant la banane, ramassant le pamplemousse, pêchant leur repas quotidien, des gens adorables, accessibles, accueillants, charmants.
29 enfants répartis dans 3 classes, ce sont eux qui mangent des ice-creams au bord de la route, pas des glaces, non non, des ice-creams. C’est marrant d’ailleurs, ils nous ont abordés en anglais, et non pas en français … y a-t-il plus de touristes anglophones par ici ? possible, puisque les Marquises sont la porte d’entrée polynésienne pour tous les navigateurs qui déboulent depuis Panama. Le village : une mini-poste, une mini-mairie, un gros générateur au centre du village qui fait un raffut d’enfer, un terrain de foot où les enfants courent tous les soirs après le ballon, un snack avec le wifi gratuit pour ceux qui passent par là (les 200 touristes du cargo Aranui 1 à 2 fois par mois) et puis une église aussi, comme partout.
Les Marquisiens sont principalement catholiques, suite aux visites des missionnaires qui ont décimé leur culture, leurs cultes, leurs croyances, leurs chants, leurs arts (tatouage et sculpture, gravure et tissage). Avant les envahisseurs, les habitants de ce magnifique archipel étaient polythéistes, et vénéraient différents dieux qui tous avaient des territoires et des talents différents. Les uns destituaient les autres au fil du temps et des croyances populaires.
La société marquisienne était composée de différentes castes, les autorités politiques, les prêtres, les guerriers, les troubadours-artistes, les propriétaires fonciers puis les gens ordinaires, le petit peuple. Ils vivaient simplement, très proches de la nature, savourant la générosité de la nature. Leur mode de vie était plutôt tranquille et organisé autour de différents plaisirs, peu d’obligations hormis se nourrir et nourrir la tribu, ce qui ne correspondait pas aux dictats européens qui ont vite fait de remettre tout le monde dans le rang, au nom de la religion. Fini les pagnes légers et les colliers de fleurs habillant les torses, bonjour les robes « mission » couvrant les femmes des pieds à la tête et jusqu’au bout des poignets. Et c’est « grâce » aux missionnaires que la Baie des Vierges se nomme ainsi, puisque son nom originel, dans le langage européen, était la Baie des Verges. Le relief y est particulièrement explicite.
Les missionnaires ont navigué dans les archipels éloignés de Tahiti : les Gambiers, les Marquises, les Tuamotu et les Australes. Le catholicisme s’y est implanté. Dans les iles de la Société et à Tahiti, les anglicans ont débarqué et ont converti les locaux au protestantisme. Beaucoup de Chinois étant présents sur les îles, leurs religions y sont représentées aussi.
Dans la vallée de Omoa, on voit des tikis un peu partout. A Hanavave, un seul nous accueille au port. Mais quelle est donc l’histoire de ces tikis ? quelle place occupent-ils dans la culture marquisienne ? les locaux rencontrés jusqu’à aujourd’hui sont assez évasifs, mais tous font référence au « mana » et nous indiquent que les tikis sont des représentations de l’esprit du lieu. Le mana ? c’est la rencontre de la magie et de la religion, l’émanation de la puissance spirituelle d’un groupe, d’un lieu. Le tiki lui, mi-homme mi-dieu, est une représentation dont la taille et les expressions varient selon les artistes ; ces tikis inspirent parfois la crainte et surtout le respect. Ils sont souvent placés proches des maraés, les anciens lieux de fête et de célébration. A l’entrée des jardins aussi, ou des maisons pour protéger les habitants du lieu. J’ai aussi entendu dire que les tikis étaient la représentation des personnes influentes sur les maraés, prêtres, politiciens, et autres personnages importants. Aujourd’hui le tiki est vraiment un symbole marquisien fort, on le retrouve dans tout l’artisanat (sculpture, gravure, tatouage et autres) et l’œil du tiki est représentatif du regard porté vers l’avenir.
La nature à Fatu Hiva est sonore et odorante. Les vocalises des coqs et des chèvres meublent le quotidien, les bêlements entêtés des cabris, les oiseaux marins, les chiens ; les coqs et les poules sont aussi nombreux à traverser les chemins que les marquisiens (voire plus nombreux). On entend aussi pendant la journée le bruit des battoirs que les fabricants de tapa manipulent de leur bras musclé, ces artisans qui transforment les arbres en papier à dessin (je raccourcis un peu le processus, là). Le son des scies circulaires résonne aussi dans la vallée, Léon taille son caillou (gros bloc duquel émergera son prochain tiki), un autre artisan travaille le bois pour construire un nouveau bateau.
Un autre plaisir retrouvé pour nous : le chant des oiseaux. Dans la baie des Vierges, les deux falaises qui ferment la crique sont suffisamment éloignées l’une de l’autre pour limiter le bruit de la mer, et suffisamment proches pour qu’on entende les oiseaux pépier du matin au soir. A l’heure où le soleil part prendre son bain de mer, les chèvres sauvages viennent gambader (et bêler joyeusement) sur les falaises, pour honorer le tomber du jour. Chaque jour elles sont là. Ce sont les plus petits d’ailleurs qui bêlent le plus fort (on pourrait traduire leurs cris par “aidez-moi aidez-moi, papa, maman, dis, par où je passe ? je vais tomber là, aidez moi !!”) Et puis le bruit du vent à terre, tellement différent du bruit du vent en mer : le vent qui chante dans les arbres, dans les vallées, le bruissement des feuilles, le ruissellement de la rivière, le « boum » sourd d’une coco qui tombe à terre, les « bzzzz » des insectes, le son d’une cloche, bref, des bruits de nature et des bruits de vie.
Au niveau odorat, notre nez est titillé par les fleurs et par les fruits, par l’herbe qui sèche au soleil, et par la terre mouillée, la cascade qui mousse et le soleil qui chauffe la terre. On y trouve énormément de manguiers, chargés de fruits à différents stades de maturité qui embaument sous le couvert des arbres, des buissons de toutes sortes avec les magnifiques tiarés, ylang ylang, hibiscus, et autres fleurs odorantes.
Sur cette petite île vivent plus ou moins 600 personnes.
Hanavave c’est à peine 200 habitants, quand tout le monde est là, y compris les ados ! il faut savoir qu’à 10-11 ans, les enfants des petites iles (et petits atolls dans les Tuams, c’est pareil) quittent la maison pour partir au collège, et sont donc en pensionnat dans l’ile principale du regroupement de communes ; donc sur les petites iles, on ne trouve que des jeunes enfants, et des adultes et puis quelques personnes plus âgées. Donc Hanavave, c’est un micro village avec ses histoires (« ah cette épicière, c’est n’importe quoi » .. « ah non, pour rien au monde j’irai vivre dans l’autre vallée, ils sont trop … trop .. trop … et puis y’a rien là-bas ») ; l’activité principale de la communauté consiste à travailler la terre, à pêcher pour vivre, mettre ce qu’il faut sur la table, puis aller à l’église en fin de journée pour chanter et papoter.
Ce n’est pas compliqué ici de rencontrer du monde, et c’est assez magique. Quand tu te balades sur la route bétonnée du village, les gens t’interpellent .. « eh madame ! viens me voir ! entre, assieds toi ! » « eh madame, ce fruit que tu regardes ça s’appelle une pomme cannelle » « eh madame, tu veux des pamplemousses ? » … et puis tu réponds à leur voix, tu vas les voir, tu entres chez eux, dans leur jardin, sous leur auvent, dans leur cuisine, tu t’assieds (ou pas) et tu discutes. Tu viens d’où ? tu t’appelles comment ? et toi ? tu as toujours vécu ici ou tu es un peu parti ? et tu sculptes ? et comment ça va la vie ? et tu es satisfait des ventes que tu peux faire auprès des touristes ? et et et et … Ils te montrent leurs réalisations, gravures sur bois, fleurs en tapa … parfois on s’assied simplement au bord de la route avec une personne qui vend ses pamplemousses, et on partage un petit moment avec le sonneur de cloches … parfois ils me disent « viens plus tard à la maison, c’est là-bas » et on a l’impression qu’on peut simplement arriver chez eux, partager un moment et repartir. Pour l’instant, je n’ai jamais répondu « présent » pour une invitation à passer chez eux plus tard, je suis sûre qu’on rate quelque chose, mais je me sens un peu mal à l’aise.
On a profité aussi de cette île pour faire LA rando de l’île, 17 km entre Omoa et Hanavave. 650 mètres de dénivelé positif, c’est un peu raide pour une première balade après les Tuamotu (pour mémoire, aux Tuam il n’y a aucun relief, le point culminant d’un atoll doit à tout casser être à 2 mètres au-dessus du niveau de la mer) mais mon dieu, ça en vaut la peine ! pour se dérouiller le cardio et les jambes, se remettre un peu en route physiquement, et surtout pour les somptueux paysages.
On est passé des cocotiers de bord de mer, aux pamplemoussiers, puis aux arbres de fer, les aitos, aux « tou », aux banians, au bois de roses, jusqu’à rejoindre les forêts de manguiers, et finalement dépasser l’altitude des arbres, pour se retrouver sur les arêtes montagneuses pelées, herbues et venteuses. On voyage entre la Polynésie et l’Irlande, les paysages nordiques, les vallons doux et les falaises vertigineuses. C’est magnifique. Les 650 m se font sur des super courtes distances avec des déclivités impressionnantes, et la majeure partie de la balade est très agréable. Magique, dépaysante, d’autant plus que les nuages jouent avec le spot solaire, et nous révèlent des morceaux de paysage les uns après les autres. Splendide !
Cette même balade sera faite le lendemain par la communauté religieuse de Omoa, pèlerinage de la Vierge Marie, qui part en villégiature à Hanavave pour un mois. Partis à 5h du matin, ils sont arrivés vers midi, et toute leur marche s’est déroulée sous la pluie … quelle chance nous avons eu de parcourir ces paysages la veille … !!! Après quelques heures de repos et une bonne baignade, les pèlerins et les habitants du village se retrouvent pour la messe, joyeusement emmenée par un Père marquisien, chantée par tous les paroissiens.
Après la messe, c’est l’heure des danses et des chants qui ont été chorégraphiés par chaque paroisse pour ce pèlerinage qui marque le début du mois de Marie. Les festivités ont lieu sur le parvis de l’église, où se rencontrent les deux groupes de villageois. Une paroisse toute vêtue de blanc, l’autre en habits colorés ; ils entonnent leurs chants plein de bonne humeur et de ferveur. Derrière eux : la baie des Vierges, rouge, flamboyante dans le soleil couchant … on ne pouvait rêver mieux ! Dans 30 jours, les habitants de Hanavave ramèneront Marie chez elle à Omoa par le même chemin, on leur souhaite une météo plus clémente …
Fatu Hiva, magnifique porte d’entrée aux Marquises, elle nous a séduit d’emblée, et donné très envie de découvrir cet archipel, perles montagneuses hirsutes posées au milieu de ce grand bleu. On se réjouit des semaines à passer par ici !!!