Lundi 1er aout 2022 – Oh b’en tiens, on est encore à Tikehau !
Salut la caravane,
En ce lundi matin de Fête Nationale Suisse, nous ne hissons pas les drapeaux (le pavillon est déjà en haut du mât, fier, flottant fort dans le vent soutenu), nous ne mangerons pas de fondue car il fait beau (il y a deux jours c’était un vrai temps hivernal, alors on a anticipé notre repas gourmand aux couleurs helvétiques), et nous n’entendrons pas le souffle puissant des cors des Alpes sur la place du marché puisque nous sommes seuls sur notre langue de corail, et qu’ici c’est le chant du vent dans les drisses qui rythme nos journées.
Les couleurs suisses sont quand-même en l’air …
En ce lundi matin, nous sommes toujours à Tikehau car depuis le départ de Hugo le vent s’est sérieusement levé, et nous vivons la météo hivernale tant réputée : du vent entre 18 et 20 nœuds (+ 7 sous les grains) du sud-est, du matin au soir et du soir au matin. C’est génial, nous voilà bien servis pour kiter et s’amuser chacun avec sa petite voile (la 7 pour moi, la 9 pour Hervé, voire la 7 pour Hervé et moi dans le bateau à regarder …).
Dans un premier temps, on s’est dit « on reste là une bonne semaine pour en profiter à fond, avant de poursuivre notre route au sud-est des Tuamotu », et puis après, reprenant la météo de jour en jour, on s’est aperçu que … ça allait durer !!
Donc en fait maintenant c’est comme si on était coincés dans l’atoll et condamnés à y rester tant que le vent ne se calme pas. Et donc ça fait deux semaines que Hugo est parti et que nous « tournons en rond » dans l’atoll de Tikehau, nous déplaçant en fonction de l’orientation du vent pour nous mettre à l’abri des vagues.
C’est plus difficile de se mettre à l’abri du vent, sauf si on se met vraiment le nez « sur le reef », mais dans ce cas-là on ne peut pas kiter (puisque le principe de sécurité dit qu’on kite toujours au vent du bateau (« au-dessus » du bateau) pour que le vent nous ramène au bateau si on a un problème.)
Enfin, quand je dis « tourner en rond », c’est seulement au sens géographique, puisque ça nous plait bien de profiter de ce joli coin !!
La météo de ce matin nous confirme qu’une petite accalmie se profile mercredi et jeudi, avant que les souffles d’Eole ne s’abattent à nouveau sur le plan d’eau, ce qui nous permettrait de quitter Tikehau mercredi très tôt pour nous rendre à Rangiroa pour prendre la passe de Avatoru vers 16h (50 miles). Et puis de filer au sud-est du lagon de Rangi jeudi pour s’y mettre à l’abri (33 miles), au lieu-dit « Les Sables Roses » et profiter des prochains jours de gros vents là-bas pour kiter. Donc ça c’est le programme.
Avec une condition préalable qui est que le Dory, le cargo ravitailleur de Tikehau, arrive comme prévu mardi avec tous nos colis … fruits et légumes, jambons et fromages, et autres denrées précieuses qui nous permettront d’être autonomes pour au moins 10 jours. On va aussi aller chercher des œufs et de la salade au Jardin d’Eden, un peu plus haut sur l’atoll ; c’est une communauté religieuse qui abrite ici deux familles (malais d’origine), et ils vivent ici quasi en autarcie, loin de tout. Ils cultivent leurs fruits et leurs légumes, élèvent leurs poules et leurs cochons, mais malheureusement on ne peut pas visiter leur Jardin d’Eden car ils sont très craintifs vis-à-vis du Covid. Comme ils ne sont pas vaccinés, ils ne veulent pas se mettre en danger. La pandémie reprend un peu sur Tahiti, et ça les inquiète.
Jeudi 4 aout 2022 – Patate Toi-même !
Finalement le Dory est bien arrivé mardi, mais c’est seulement à 19h (pleine nuit noire) que nous avons pu récupérer nos 6 colis au cul du container. Les coffres, les cales et les frigos sont pleins, on est autonomes pour 10 bons jours au niveau des produits frais.
On quitte le village à 5h30, on sort de la passe de Tikehau à 6h30, et à 7h on a déjà deux jolis thons YellowFin qui pendent à l’arrière du bateau, curieux et trop gourmands, attirés par les leurs multicolores (poulpe et poisson à plateau) des cannes de Hervé. Chouette, on a de quoi équilibrer les prochains repas !!
Pendant la looooongue navigation coooooontre le vent pour remonter sur Rangi, Hervé profite d’une accalmie de la mer pour lever les filets des petits thons, qui plongent pour certains directement dans le congélateur, tandis que d’autres seront mis en conserve en fin de journée. On ne croise aucun bateau, pas une voile à l’horizon, pas un AIS sur les écrans.
Arrivés à Rangi, stop rapide juste pour la nuit, on a juste le temps d’aller voir à la passe de Tiputa si les dauphins sont par là. Comme la passe est calme, on en doute. Mais un peu de patience, assaisonnée d’un ti-punch au rhum de Rangi (bien moins bon que celui de Tahaa) nous offre un super pestacle, et tout le monde sur la terrasse entonne des « Hooo » et des « Ahhh » et puis encore des « Là-Bas » et aussi des « Oh les pirouettes, trop beau » … une bande de dauphins potes est en train de s’amuser et de manger tranquillement. Ils alternent la balade gourmande et les cabrioles folles hors de l’eau. Un régal pour nos yeux, qu’on regarde avec nos mirettes enfantines grandes ouvertes, des étoiles dessinées au fond de nos iris.
Petit-dèj à peine avalé, on part plein est (face au soleil et face au vent) pour aller au « fond » du lagon de Rangi, se protéger du vent soutenu annoncé pour les prochains jours, et découvrir un morceau d’atoll où nous ne sommes encore jamais allés. Et un lieu-dit au nom évocateur : Les Sables Roses. On part à la découverte.
Le jeu de cette navigation consiste à guetter les patates de corail affleurantes, s’il y en a, car l’atoll n’est pas cartographié. Aussi, nous prenons nos quarts de veille, ou plutôt nos quarts de guet. Le problème majeur vient du fait que le ciel est parsemé de nuages, qui cachent chacun à son tour le soleil. L’impact direct pour nous : le lagon change sans cesse de couleurs et nous décline toutes les nuances de bleu, avec parfois des inversions totales en 3 secondes : l’eau claire devient foncée, et le foncé devient clair. Ce qui pourrait être identifié comme une patate (une tache turquoise, ou bleu plus clair, dans le bleu profond du lagon) est en fait une tache de soleil qui passe au travers des nuages. Puis le ciel s’éclaircissant, c’est quand un petit nuage assombrit une partie du plan d’eau qu’on soupçonne des rochers affleurants. On s’appuie aussi sur les images satellites qui complètent nos outils de navigation, mais rien n’empêche le guet à l’avant du bateau, les pieds dans les embruns. Et de vraies patates à des semblants de patate, finalement un rayon de soleil vient nous éclairer sur le pont de Myriades on en vient à s’appeler PatateToiMême 😉
Arrivés sans encombre au bout du bout du lagon (ou presque, mais on s’arrête là pour découvrir un peu avant que la journée ne se termine), on se régale de cet endroit privilégié, on part marcher sur le motu et le platier, et les langues de sable que nous foulons seuls nous rappellent ô combien nous sommes chanceux. La même rive en France ou ailleurs serait peuplée, surpeuplée, ça sentirait le monoï ou la crème solaire, ça piaillerait de tous les côtés d’un « maman viens voir » ou d’un « papa arrête de me mettre du sable partout » … ici on entend le souffle de l’océan tout près, les sternes qui jouent dans le ciel, le crissement des crabes qui courent sur le corail, et c’est tout. Vous dire qu’on apprécie et qu’on savoure est un euphémisme. On adore !
Le pont salé se fait rincer à l’instant par un magnifique grain qui nous tombe dessus, qui rafraichit l’air pour bien dormir (il ne fait que 26 degrés ici). La pluie qui tombe sur le taud nous incite à attraper un bon bouquin et regarder les couleurs du soir et les rideaux de pluie habiller notre horizon infini.
Samedi 6 aout 2022 – Ah ces prévis … pffff !
Moi j’vous l’dis mon brave, c’est pus comme avant … Avant, on lisait l’almanach à Noel, et si le Messager Boiteux nous prédisait des oignons à peau épaisse, eh b’en l’hiver serait venteux … Alors qu’aujourd’hui, il a beau boiter, moi j’peux pus l’croire …
Les voiles de kite se désespèrent au fond de la soute, et nous on guette Eole. Les prévisions météo polyésiennes, les modèles GFS, ECMWF et autres nous prédisaient du gros bon vent bien ronflant du sud-est, le fameux Mara’amu, et voilà que Pétole se prélasse depuis 3 jours dans le lagon, et bien au-delà … les cartes de vent restent désespérément bleu foncé, tirant parfois légèrement sur le vert clair, mais c’est tout ! On les aime bien vert franc, tirant sur le jaune foncé, voire le orange …
Alors du coup, pour changer de couleur, on va essayer de les voir ces fameux Sables Roses ! On nous a dit au village que les bancs de sable sont passablement malmenés par la houle, les courants et autres phénomènes naturels, et qu’il y en a de moins en moins. Pas grave, on ne se démonte pas, on cherche.
Au fond du lagon, au sud-est, on tombe dans une incroyable et immmmmmmmmmense piscine. Les fonds sont si peu profonds qu’on peut presque voir chaque grain de sable depuis le pont du bateau. Du sable du sable du sable (de corail) à perte de vue, des patates mais pas tant que ça, donc pas de poissons et pas de snorkeling intéressant.
On voit émerger un petit banc de sable au loin, et un petit tour en zozo jusqu’à lui nous confirmera qu’il est bien rose. En fait, cette couleur toute douce provient d’une algue rouge qui colonise les coraux, et qui à un moment de sa vie choisit de quitter le règne végétal pour adopter le monde minéral. Elle se dégrade ensuite avec les coraux, et leur laisse sa teinte rosée, entre la pêche, la framboise et l’abricot …
Ce matin, je voulais voir quelle hauteur d’eau on a sous le bateau : on a pied et j’ai de l’eau jusqu’au-dessus des nénés. En palmant un petit coup plus loin, pour voir de quelle couleur est le sable, je suis tombée sur des sables roses, b’en oui, sur des tas de coquilles d’oursin blanchies et aussi sur une Rose des Sables. C’est une construction absolument incroyable … imaginez peler une pomme entière en rond, en partant du cul de la pomme pour remonter à son sommet, et la peler d’un seul coup de couteau. Vous obtiendrez alors un serpentin-tourbillon-tournicoti comme un ressort, qui s’allonge et se raccourcit selon la tension qu’il subit. Eh bien là c’est la même chose, MAIS, mais, mais c’est fait de sable ! ce n’est QUE du sable ! et c’est solide tout en étant souple, élastique, ça s’allonge sous nos doigts et ça se re-sert pour former une corole, c’est juste incroyable. Qu’est-ce que permet aux grains de sable de tenir ensemble sous cette forme-là ? et qu’est ce qui crée cette rose-là ? mystère mysTerre … Et bien sûr, une fois que toute l’eau se retire de la Rose, celle-ci redevient sable friable.
Et puis on a trouvé une éponge naturelle aussi, autre mystère structurel et fascinant.
Sinon, puisque les prévis sont imprévisibles, et qu’on ne peut s’y fier, on revoit les plans chaque jour … Donc ce soir, en nous régalant d’un Ti-Punch au rhum de Tahaa (le Pari Pari, c’est vraiment le meilleur !) on refait le monde une fois de plus, enfin, juste notre monde. On va probablement quitter Rangi sous peu pour retourner sur Toau, avec la possibilité d’y retrouver Axel, joyeux navagiteur kiteur et tirer quelques bons bords ensemble.
Jeudi 11 aout 2022 – Toau sud à nouveau, les prévisions restent des prévisions
Eh oui, les prévisions ne sont qu’une interprétation de données prélevées de gauche et de droite à différents endroits de notre jolie planète, modélisées puis retransmises aux utilisateurs, qui à leur tour interprètent les données transmises. Ce qui est intéressant c’est de constater d’une part les différences de prévisions offertes par les différents modèles qui traitent les mêmes données à la base, et d’autre part c’est difficile de savoir à quel modèle se fier car un jour c’est les américains qui ont raison, et le lendemain c’est aussi eux qui ont tort … (pareil pour les modèles européens, haha)
Toujours est-il que les prévis nous avaient dit « vent du nord » pour 48h. Sachant que le régime ces derniers temps était au Mara’amu, c’est-à-dire vent du sud-est. Fous comme nous le sommes, ou peut-être pas fous, mais parfois oublieux des mauvaises expériences passées, nous avons décidé de partir.
Premier résultat d’une évidence crasse, mais que nous avions totalement occulté : la mer n’était pas cool du tout. Une nouvelle fois, une vraie machine à laver. Des vagues dans tous les sens, de la houle bien formée, bref, tout ce qu’il faut pour naviguer allongés sur les bancs, à regarder le temps passer et les minutes s’égrainer.
Deuxième constat : entre les prévis et la réalité, il y a très souvent un pas énorme … on a eu tous les vents, ouest, nord-ouest, sud, sud-est, mais le vent du nord n’est venu que très très tard.
Et puis on s’est pris des grains … enfin un surtout, énorme, que nous n’avions pas soupçonné si puissant, qui a déboulé avec ses 28-30 nœuds, sa pluie : une vraie drache, tombant à seilles, à l’horizontale à la vitesse du vent, détrempant Le Cap et le bateau, rendant la navigation impossible : Hervé ne pouvait pas lever la tête et regarder devant, et le bateau partait au loff constamment, refusant de répondre à la barre. Heureusement, on n’était pas trop près du reef, et le grain n’a pas duré trop longtemps.
Pour couronner le tout, une énorme cellule orageuse, noire, menaçante, nous a suivi toute la nuit, illuminant les ténèbres de ses zèbres lumineux, laissant planer cette incessante inquiétude sur nos têtes : un éclair va-t-il venir frapper notre mât … ?
Fort heureusement pour nous, la lune est haute, belle et grosse, et on a une certaine visibilité quand on navigue lorsque le soleil est couché.
On a mis 24 heures à peu près, plus ou moins comme prévu, malgré un départ à l’arraché depuis Rangiroa. Mardi matin, au moment d’aller chercher le pain, Hervé est tombé en panne avec l’annexe de l’autre côté de la célèbre passe de Tiputa, passe où le courant sortant atteint une vitesse hyper impressionnante. Et il est tombé en panne à l’entrée de la passe côté lagon … autant vous dire qu’il a très vite dérivé vers l’extérieur de l’atoll et s’est imaginé « expulsé » en pleine mer … Il a sauté sur les rames et s’en est donné à cœur joie pendant un petit moment pour rejoindre la rive, et puis m’appeler pour me dire qu’il était en panne … Un bateau copain s’est dépêché sur place pour le récupérer, et tracter l’annexe jusqu’à Myriades. Hervé a choisi de tenter de réparer le moteur sur place, à Rangi, au cas où on doive trouver un mécano … Le Cap MacGiver a une fois de plus brillé par ses compétences, a démonté le carbu, nettoyé les circuits, tout vérifié, et le moteur est reparti ! ouff ! Donc petit moteur à peine réparé, on est parti pour Toau, pour être à la passe à la bonne heure. Les 24 heures de nav se sont passées les yeux guettant l’horloge, pour se présenter à l’entrée de l’atoll de Toau au bon moment.
Quand on y est arrivés, il y avait un tout petit mascaret, pas de houle, 12 nœuds de vent, donc des conditions assez idéales pour entrer et filer vers le sud de l’atoll, où nous sommes mouillés depuis hier, pour retrouver les joies du kite dans le vent.
Les prévis nous annoncent 4-5 jours de vent entre 14 et 20 nœuds, la plage de force de vent idéale pour jouer avec les airs et nos planches, on a tiré nos premiers bords ce matin en compagnie de Axel qui lui enchaîne les sauts, les figures acrobatiques, et on se réjouit de passer ici quelques jours au rythme du souffle d’Eole et du cycle de l’astre solaire. Je crois que nos fins de journée seront ponctuées de quelques bières bien fraîches et parties de backgamon : Axel en possède un vrai, avec des vrais dés en 3 dimensions, un plateau de bois et tout le tralala – c’est tellement plus chouette de jouer avec les dés en main, plutôt que d’utiliser notre tablette comme on le fait Hervé et moi.
Dimanche 14 aout 2022 – Le kaveu de Toau, vous connaissez ?
Vous savez quoi ?
Vous devinez ?
B’en oui, tout juste, la météo a encore « tout faux » haha, mais c’est pas grave, on adapte !
On varie les plaisirs nautiques, entre kite, essais en wing foil, petite balade sur le banc de sable devant le bateau.
Et puis on est allé chasser le kaveu (ka-vé-ou), le fameux crabe de cocotier qui a la réputation de trancher les doigts de ceux qui tentent de les approcher … il faut dire que l’animal se nourrit principalement de noix de coco, donc forcément il a les outils nécessaires pour casser ses cocos. Il a surtout la réputation d’être un met délicat et recherché.
Et comment ça se passe la chasse au kaveu ?
Alors on part dans l’après-midi sur le motu (bien sûr il faut qu’il y ait des cocotiers sur le motu) avec machette, marteau et tourne-vis, chaussures et anti-moustique, pour poser les pièges à crabes. Ces pièges ne sont rien d’autre que des noix de coco ouvertes, offrant leur parfum suave aux papilles olfactives des petites-grosses bêtes avoisinantes, et leur chair blanche et goûtue aux estomacs voraces.
Donc la première étape de la chasse, c’est de cueillir des noix de coco pleines (en fait on les ramasse), de les fendre d’un bon coup de machette, de s’aider éventuellement du marteau et tourne-vis, puis de disposer les demi-cocos aux endroits stratégiques : pas loin des cocotiers, idéalement coincées un peu en hauteur dans les racines des pandanus (qui ont des racines aériennes) de manière à ce que les crabes soient attirés, puis obligés de consommer sur place, et non pas de prendre leur plat à l’emporter.
On leur laisse un peu de temps, on retourne au bateau. A la nuit tombée, on partira cette fois à la cueillette de crabes.
Armés de nos lampes frontales, d’une bonne lampe de poche en plus, de gants (super super important les gants), d’une gaffe, d’une épuisette, de seaux et … c’est parti, on remonte dans le zodiac dans le vent et les embruns froids, et on aborde notre motu à la lumière de nos faisceaux frontaux. On chemine entre les buissons, les arbustes, les cocotiers, et là, surprise surprise, OUIIIII nos pièges ont bel et bien attirés quelques gourmands.
Crabe aux couleurs intenses, bleu, rouge, violet, un corps entre le crabe et la cigale de mer, cet animal terrestre ressemble plus à une grosse araignée qu’à un tourteau ou une étrille. Il a un énorme abdomen assez … repoussant, mais qui parait-il, une fois cuit, à la texture et le goût léger d’un foie-gras. Ok, on verra. Mais là, comme ça, à la lumière de nos frontales, ça ne donne pas trop envie. Je ne sais pas pourquoi, mais manger toutes ces petites bêtes et ces grosses bêtes marines, c’est ok pour nous, mais quand il s’agit de manger le même genre de petites bêtes terriennes-terrestres, c’est tout de suite moins appétissant.
On les « cueille » à la main les uns après les autres, seulement ceux qui nous semblent assez gros pour être mangés, et on les met dans notre seau. Très vite, ils tentent de s’échapper, et nous font découvrir la puissance de leurs pinces. Comme ils sont 4 à habiter notre seau, on les entend tenter de s’échapper, se battre, et on réalise qu’ils n’hésitent pas à se mutiler les uns les autres, voire à s’auto-mutiler pour se libérer. Malheureusement pour nous, il y a une corde à notre seau -impossible à retirer- à laquelle les 4 chenapans s’agrippent de toutes leurs forces. On jouera de toutes les ruses pour les forcer à lâcher prise, y compris leur jouer du tambour sur la tête ou l’abdomen, rien n’y fait … Heureusement qu’on ne les a pas mis dans l’épuisette !!
De retour sur le bateau, on se dit qu’on les fera cuire le lendemain matin, mais au bout d’une heure d’observation de ces drôles de bêtes, on décide de venir à bout de leur attente, et on les passe à la casserole. 10 minutes de bain chaud frémissant, et les voilà tout rouge, bien rangés dans un plat, prêts à être déguster.
Déjeuner du lendemain avec Axel qui kite avec nous depuis quelques jours, rencontré aux Gambiers l’année passée, Axel qui était le cueilleur de crabes hier soir, celui qui a bravé les pinces avec ses mains gantées -Hervé était le stratège et moi la lumière-. Axel qui se porte encore volontaire pour jouerle rôle du goûteur, surtout pour le fameux abdomen … les pattes et les pinces sont très bonnes, la texture d’une chair de crabe marin, mais pas son goût iodé ; un goût de crabe quand-même, légèrement parfumé de coco. On casse les pinces avec les pinces et les tenailles de la caisse à outils, haha. Jusque là, tout va bien. Et puis Hervé fend un abdomen d’un coup de couteau bien senti, et nous dévoile un truc un peu zarb dont une partie ressemble effectivement à du foie gras, et d’autres choses moins attractives. Axel coupe le sien à son tour, et en sort une espèce de jus épais beigeasse pas du tout ragoûtant, pour ne pas dire repoussant. On goûte, pas trop convaincus, et on est surpris par cette texture et ce goût effectivement proche du foie gras. Mais on ne s’en fait pas des tartines et on ne se ressert pas, c’est pas notre kiff.
Donc aventure et expérience intéressante, on a essayé on a tenté on a découvert, mais on n’y reviendra pas. On retournera les observer, mais on ne les mangera plus.
Vendredi 19 aout 2022 – Entre Faka Nord et Faka Sud
Ca y’est, on est partis, on poursuit notre route Sud-Est en direction de Makemo.
On a pu faire le plein à Rotoava, village principal de Fakarava, plein de victuailles, plein de gazoil, plein de linge propre, plein de bonnes assiettes aux restos et aux snacks, et dire au revoir aux quelques personnes que nous connaissons ici.
C’est reparti pour quelques jours à Faka sud, le temps de savourer des balades en snorkeling à la passe, d’aller se balader aux Sables Roses ; c’est dommage, il parait qu’on ne peut pas y ancrer.
Pas de vent, donc pas de kite, on a quand-même pu descendre à la voile aujourd’hui, avec des airs entre 9 et 12 nœuds, sur une eau plate c’est juste idéal ! On s’est arrêté à mi-chemin entre le nord et le sud, pour changer un peu, mais ça reste une langue de corail sur laquelle poussent des cocotiers et autres petits arbres, et puis bizarrement, on a pas mal de vagues alors qu’on est censés être protégés par le reef. Les vagues du lagon suivent la côte et s’enroulent autour de chaque pointe, pour venir se dérouler dans chaque petite baie, c’est ce mouvement-là qu’on subit. On remet des manches à nos t-shirts, on remet des couvertures par-dessus les draps, le temps est à l’hiver ici, il fait frais. Mais l’eau est encore bonne.
Mardi 23 aout 2022 – Hirifa, au sud de Fakarava
Alors Faka, encore Faka, toujours Faka … atoll « pièce tournante » des Tuam, entre le nord et le sud, entre l’est et l’ouest, où on passe et on repasse au gré de notre 8 infini en Polynésie, et où l’on passe de 6 à 16 voiliers dans la même baie entre le matin et le soir … Il y a du monde, oui, mais moins quand-même que sur les plages bretonnes ou méditerranéennes.
Quelques histoires glanées en route ces derniers temps, à vous rapporter sous la pluie, le bateau posé sur un lagon tout calme et presque lisse, le vent étant un grand absent dans le synopsis … Pas grand-chose de neuf ni de particulièrement remarquable, on devient des habitués bientôt routiniers, mais on n’oublie pas de cultiver notre capacité à s’émerveiller et à accueillir tout ce qui est beau (et moins chouette aussi) autour de nous (et en nous) avec une immense gratitude.
Des petites histoires …
Une histoire de pêche : au sortant de la passe de Toau la semaine dernière, alors que nous guettions Axel qui sortait de la passe en solitaire sur son bateau -il venait de faire cramer le moteur de son guideau et de rester coincé dans les patates, on le regardait se prendre les vagues du mascaret avec courage et confiance- Hervé a mis une ligne à l’eau pour pêcher un mahi mahi. C’était notre demande à l’univers ce matin-là : nous offrir la possibilité de manger autre chose que du thon. C’est bon le thon, mais au bout d’un moment on rêve de déguster un autre poisson.
Quand on attrape un thon, le poisson sonde immédiatement et la ligne part presque à la verticale dans les profondeurs. Quand c’est un mahi mahi qui vient nous rejoindre, la ligne reste en surface et fait des grands zigzag à l’arrière du bateau.
Ce matin-là, la ligne à peine à l’eau, elle a très rapidement sifflé et la bobine s’est dévidée sur quelques grosses dizaines de mètres. Le fil est resté à l’horizontale, en surface, mais les zigzags se sont enchainés à une vitesse vertigineuse ! On s’est dit « Wouah, balèze le mahi mahi matinal !!! » Et alors qu’on guettait les reflets or, vert et turquoise de ce poisson délicieux, on a eu la grande surprise de voir un rostre émerger de l’eau, suivi instantanément d’une nageoire dorsale grande comme une voile, un énorme poisson sous cette nageoire et derrière ce rostre, qui bondissait cabriolait sautait et replongeit majestueusement, intensément. Le temps de se demander comment nous allions le remonter, le hisser sur le bateau, l’occire, et hop, il s’était déjà détaché … oufffff, soulagés ! et un peu frustrés, mais surtout soulagés … comment aurions-nous fait ? bien sûr, on aurait trouvé des solutions, mais cette petite bête devait bien mesurer 2 gros mètres, et peser pas loin de 100kg … et puis l’espadon reste un poisson dangereux à pêcher, il est gros, grand, lourd, et il a une belle épée en guise de nez … Une expérience qui nous amène là encore à réfléchir pour les prochaines fois.
Une histoire de pagaie : nous avons perdu la pagaie du paddle. C’est con. Mais ça arrive. Heureusement, on s’en rend compte en étant encore sur Faka, donc les communications wifi sont possibles. Lundi, Hervé réussit à commander une nouvelle pagaie chez Nautisport à Papeete, qui se chargera de mettre la pagaie à l’avion pour qu’on la récupère à Faka, mais Nautisport ne peut absolument pas nous communiquer le délai de livraison. Ok, cool, on n’est pas pressé, ça va. Nautisport nous appelle mardi matin à 9h15 pour nous dire qu’ils ont confié la pagaie à Air Tahiti (AT), et que AT nous enverra un mail pour nous dire quand ils sauront par quel vol la pagaie nous rejoindra. Mardi matin 9h20, Hervé reçois un mail de AT nous informant que la pagaie a décolé à 8h50 et qu’elle arrivera à 10h15 à l’aéroport de Fakarava. … !!! … nous sommes à 6 heures de navigation du village, haha ! et la pagaie arrive dans 50 minutes ! La solution sera finalement simple et à l’image du mode de vie d’ici : pas mal d’entraide (monnayée, bien sûr, dans ce cas). A 9h25 on appelle Stéphanie de FakaYachtsServices en lui demandant si elle va à l’avion de 10h15, oui elle y va, peut-elle récupérer notre colis, oui elle peut, et elle nous propose d’appeler la pension du sud (à côté de laquelle on est ancrés) pour savoir s’ils ont des clients qui arrivent par le même avion que notre pagaie, oui ils seront à l’aéroport, oui ils pourront récupérer et nous apporter la super nouvelle rame du paddle … Et à 14h Hervé est allé chercher la pagaie à la pension en annexe … Parfois, la Polynésie est pleine de ressources surprenantes et les choses peuvent aller vite. Merci merci !!
Une histoire de poulpe : je me baladais tranquillement le long de la plage à Hirifa à observer les risées sur l’eau, le soleil dans les cocotiers, la couleur du sable, le mouvement des vaguelettes à la rencontre de la rive, et là je tombe sur un coupe de poulpes en train de se balader tranquillement, tentacules dessus-dessous, on aurait dit un couple d’amoureux en goguette, ou un parent accompagnant son enfant dans une balade le long du rivage, c’était touchant, ils étaient vraiment les deux attentifs l’un à l’autre, s’attendant, se répondant avec douceur, avançant avec leurs tentacules sur le sable, ou nageant légèrement, facilement flottant dans cette eau à peine turquoise. Leur robe très proche de la couleur du fond leur permettait presque de se camoufler, de se faire passer pour un petit rocher. Et tout à coup, un petit aileron noir a fendu les 20 cm d’eau, un nuage noir a éclaté dans les flots, 2-3 coups de nageoire caudale et un aller-retour de tête de gauche à droite, et puis plus rien … mon poulpes-couple avait disparu. J’en ai retrouvé un tout perdu, un peu plus loin, immobile, semblait mort. Je l’ai tatouillé du bout de ma chaussure pour voir si je pouvais le récupérer et l’apporter à des gourmands, mais il a réagi, a ouvert un œil, s’est remis de ses émotions gentiment, puis a repris sa route, à l’opposé du requin …
Une histoire de wing foil : ça y’est ! on a réussi tous les deux à décoller la planche de l’eau et à « foïler » en étant tractés par le zozo. Tout sauf simple ! Faut qu’on s’entraîne encore ! et encore … et j’ai réussi à faire de la planche à voile avec le wing foil, donc sans voler au-dessus de l’eau. Mais pour débuter relativement à naviguer avec la planche et la voile, il faut du vent. Et quand il y a en, on kite, donc on progresse vraiment pas vite. Et ça nous amène à la dernière histoire, une histoire de météo.
Une histoire de météo : il était une fois un pays fantastique où les paysages étaient tout doux, l’eau salée chaude, le soleil caressant, et les vents bien établis. Des mois de juillet et d’août, les anciens racontent que ce sont des mois où les tradewinds soufflaient du sud-est de manière constante, entre 15 et 20 nœuds. Parfait pour les navigateurs… on confirme, c’est une belle histoire, mais c’est loin de la réalité. Comme les contes finalement, ça fait rêver, ça permet de s’échapper, d’imaginer, de se réjouir, de se régaler dans nos têtes, … mais le quotidien est quelque peu différent. Donc non, nous ne rencontrons pas du tout la météo supposée habituelle, les grains sont soudains, fortement pluvieux, parfois on se croirait en Bretagne par un jour bruineux et sans vent, le vent brille très régulièrement par son absence. Voilà. C’est celle-là notre histoire, et on fait avec. Parfois en rongeant notre frein, parfois en râlant un tout petit peu (ou très fort), et souvent en savourant le reste.
Et une histoire de responsabilité et de culpabilité : nous sommes arrivés à Faka par la passe nord, une fois parmi d’autres, mais cette fois-là un vent modéré soufflait du sud depuis plusieurs jours, la houle du sud remplissait le lagon, et le mascaret était bien formé, offrant de belles marches d’escaliers aux bateaux entrant et sortant de l’atoll. De loin, on observait un petit bateau depuis un moment, qui faisait des allers-retours devant la passe. Quand on s’est présentés dans l’alignement de la passe, j’ai entendu quelqu’un crier. Ce n’était pas des plongeurs, il n’y avait personne. Puis un autre cri un moment plus tard, jusqu’à ce qu’on réalise qu’il venait du petit bateau qui naviguait devant nous. Du coup, on modifie notre route pour aller voir ce qui se passe, puisque le capitaine nous faisait des grands signes des bras. Se rapprochant de lui, et de l’entrée de la passe très remuante, il nous fait comprendre qu’il est en perdition, qu’il n’a pas de moteur ni de source d’énergie à bord, qu’il n’arrive pas à rentrer dans l’atoll et qu’il veut qu’on le tracte. En gros « sauvez-moi ! moi je ne peux rien faire tout seul ».
Faisant une rapide analyse de la situation, on en vient vite à décider qu’on ne peut pas le secourir, la mer est trop forte pour tenter de le remorquer, trop de risques de casse pour nous et pour lui (et comment pourrait-on lui lancer un bout dans ces conditions, alors qu’il nous dit clairement qu’il ne peut pas quitter son cockpit et aller à l’avant du bateau pour affaler ses voiles) et donc « nous passons notre chemin » en prenant le mascaret en pleine face puisque nous avons dû nous dérouter .. On l’appelle à la radio (miracle, il répond) et on lui dit qu’il doit attendre à l’extérieur de l’atoll à l’abri du vent que le mascaret se calme (et que le courant s’inverse) et qu’on l’attend volontiers à l’intérieur pour l’aider plus tard lorsqu’il devra poser son ancre.
On se sent mal tous les deux, compliqué de ne pas pouvoir porter secours et ne pas aider. Mais la règle de base est claire : on ne se met pas en danger pour aller aider un autre navigateur.
Longtemps j’y repenserai, partagée entre la culpabilité et la colère, en en voulant à cet homme de nous jeter à la figure son « et moi je fais comment tout seul ? je coule ?!?!?? » C’est à lui de prendre ses responsabilités en ayant un bateau préparé, en bon état, en ne naviguant pas seul s’il ne s’en sent pas capable, en prenant sa météo correctement, etc … Je n’ai pas aimé la manière dont il nous a rejeté son problème sur nos épaules.
On a appris par la suite que son bateau est en méga super mauvais état, qu’il avait lancé un PAN PAN tôt le matin, qu’il avait reçu la recommandation d’aller s’amarrer à la bouée des plongeurs et d’attendre les plongeurs pour qu’ils le tractent -ce qu’il refusait de faire, et a fini par faire-, qu’il avait déjà fait le coup en arrivant aux Gambiers, que ça faisait 3 jours qu’il n’avait plus d’eau à boire à bord, etc .. ça diminue un petit peu mon sentiment de culpabilité, et ça renforce ma posture : à chacun sa responsabilité. Et il est bien évident que si on peut apporter de l’aide à quelqu’un sans nous mettre nous-mêmes en danger, on le fera toujours !
Voilà pour quelques histoires polynésiennes, les nuages se sont un peu dissipés, le soleil pointe, le vent reste aux abonnés absents, on ira faire un peu de snorkeling plus tard, mais là, il est l’heure de passer à table !!
26 aout 2022 – passe de Tetamanu au sud de Faka
C’est tôt ce matin que nous avons accueilli notre second moussaillon il y a 24 ans, journée phare dans nos vies. Et ce matin, en maillot de bain, on a pu boire notre café en compagnie de notre famille, par vidéo interposée, pendant qu’ils prenaient l’apéro et qu’ils soufflaient tous ensemble les bougies de Nathan, Thomas et Camille avec un petit pull sur les épaules.
Trêve de plaisanterie, nous sommes cette fois sur le départ, ca y’est ! on va relever les voiles pour changer d’atoll, il est grand temps ! je ne vous parlerai pas des prévisions météo puisque chaque fois la réalité est bien différente que les bulletins, mais dans l’idée on part retrouver le vent à Tahanea. Fort probable que nous naviguions au moteur pour y aller, pour l’instant le vent souffle à 8-10 nœuds.
Et puis première pour nous : nous sortirons d’un atoll de nuit ! on lèvera l’ancre à minuit, quand tous les requins seront gris (les chats, non ?). On est allé observer la passe à midi et à 17h, il y a un peu de houle dehors, mais la passe ressemble plus à un boulevard qu’à un escalier, le vent est calme, donc tout devrait très bien se dérouler ! La nav sera courte, 50 miles, donc on arrivera dans la matinée à Tahanea, on ne sait pas encore par quelle passe nous entrerons dans le lagon puisque cet atoll isolé et inhabité possède 3 passes différentes. C’est sympa pour pouvoir aller faire du snorkeling, ça offre un peu de variété.
Nous serons totalement déconnectés, hors des réseaux et de la foule polynésienne, loin de tout et de tous, juste entre le ciel et l’eau. Et comme disait l’autre, on va aller découvrir de nouveaux cocotiers, haha !
Dimanche 28 aout 2022 – Passe de Teavatapu, ancrés devant le motu Teuakiri, Tahanea
La nav s’est bien passée : l’un dormant dans le cockpit avec un réveil toutes les demi-heures, 3 minutes de vérification sur le pont et autour du bateau, l’autre dormant dans le carré avec un réveil naturel très aléatoire. Chaque fois que l’un se réveillait, i.elle faisait sa petite ronde de contrôle et constatait que son acolyte dormait bien, en haut ou en bas. C’est rare qu’on puisse naviguer en dormant autant 😉
Avant de partir on est allé faire encore un peu de snorkeling dans la passe de Tetamanu, elle est tellement belle … les coraux sont en nombre, variés, en pleine forme, colorés, et bien habités par une population aquatique aussi nombreuse que diversifiée. Requins, barracudas, napoléons, aiguilles, petits jaunes, petits pyjamas, poissons chirurgiens, becs de canne, et tant d’autres … un vrai bonheur de nager dans cet aquarium ! Le courant était rentrant, et en se laissant porter, on avait à peine le temps de voir les poissons autour de nous, on allait mille fois trop vite !
Reposés et rafraîchis, on est donc partis à minuit de Faka depuis le mouillage devant l’une des pensions du bout de l’atoll, on a longé le rivage dans la fin du lagon pour se présenter à la passe, on avait l’impression d’arriver sur un tapis-roulant : le courant était bien soutenu ! Pas de mascaret, pas de marches d’escalier, pas de grosses déferlantes à la sortie, juste une certaine tension le temps de se mettre dans l’axe de la sortie pour être sûrs de notre route, et puis hop, expulsés de Faka par le flux sortant … Nuit noire, sans lune, nous n’étions guidés que par nos instruments, aucun repère possible à terre. Si, quand-même, les balises scintillaient de leur rouge ou de leur vert lumineux.
Sortis sans problème, on a hissé la GV et le génois, 8-10 nœuds annoncés, 8-13 nœuds en réel, on a pu se laisser glisser sur une mer assez calme sans moteur pendant un bon moment. Dans ces conditions toutes douces, effectivement, le sommeil à deux est possible, l’un assumant son rôle de veilleur consciencieusement, l’autre assumant complètement le fait que le capitaine veut tout maîtriser, et donc lui laissant quartier libre pour tout faire, sans vergogne, haha !
Au lever du jour, 3 lignes à l’eau. A l’arrivée à Tahanea : pas une seule touche !!! rien, nada, pas le plus petit des poissons n’est venu mordre à l’hameçon … Par contre en arrivant vers 9h30 à la passe, on a découvert que 9 voiliers avaient déjà mouillé derrière le motu !!! 9 bateaux alors que nous imaginions retrouver cet atoll isolé désert … tristesse. Et puis bien évidemment, pas de vent !
Donc on a décidé de rester mouillés à côté de la passe pour le moment, et on a profité du BBQ organisé par les suédois du mouillage pour aller faire quelques civilités en fin de journée.
Les enfants des bateaux voisins courraient tout autour de la cabane de pêcheur pour trouver des morceaux de bois mort, feuilles de cocotier séchées, bourre de coco et tout ce qui peut se brûler, pendant que leurs parents et autres adultes du coin buvaient leur bière en échangeant sur les projets respectifs. Quand le feu a été suffisamment solide, ils ont sorti les poêles, les woks, les grilles, les pics, les fourchettes géantes, et touTEs se sont mises à cuisiner à califourchon autour du foyer. Et comme nous étions venus juste avec notre bière, nous sommes repartis au bateau pour finir la soirée (qui ne faisait que commencer, puisque les festivités avaient été lancées à 17h !!!)
Ce matin, folle activité !
Re-démontage du carbu du moteur de l’annexe, une troisième fois (on espère que ce sera la dernière, et comme dit l’adage, jamais deux sans trois …) puisqu’il n’a plus de puissance et cale quand on met les gaz (c’est un peu à cause de moi tout ça … c’est les suites de notre petit incident à Faka).
Puis grimpage en haut du mât pour donner un coup de nettoyage à l’anémomètre, qui nous indique régulièrement qu’il y a 0 nœud de vent (il y en a trop peu, mais quand-même pas à ce point-là) ..
Et puis après : baignade à la passe de l’ouest de Tahanea. Trop chouette elle aussi, la vie sous-marine est riche, intéressante, foisonnante, variée, un requin gris autour de nous, trois-quatre requins pointe-noire qui maraudent, plein de poissons frétillants colorés, zébrés, variés, magnifiques !
Lundi 29 aout 2022 – Ancrés seuls face à l’est, sur la bande est de l’atoll de Tahanea
Ô bonheur, nous voilà à nouveau seuls au monde ! C’est paradoxal, je n’arrête pas de râler intérieurement à cause de cette solitude qui me pèse souvent et me met des nuages sombres dans la tête, et dès qu’on est dans un endroit où il y a des bateaux, je me plains qu’il y a trop de monde … En l’occurrence, je savoure de retrouver notre mouillage sans personne autour de nous.
On a posé l’ancre à 100-150 mètres de la bande de corail, récif solide sur lequel reposent des monceaux de corail mort – plus proche de la dimension de vraies pommes de terre (entre la nouvelle et la patate à gratin) que de « coral bummies » qu’on rencontre dans le lagon – recouvrant le sol, créant par ci des flaques et par là des espaces de déambulation, mais gare aux chevilles !
Sous la coque, 5 mètres d’eau turquoise et quelques patates autour de nous, à bonne distance du bateau quand-même, nous permettant de tourner sur 360° selon les caprices du vent, sans rencontrer de danger. La profondeur des lagons se situe entre 30 et 50m en moyenne je pense.
Et de l’autre côté de cette bande de corail, large de … 200 mètres, on tombe tout de suite à 3000 mètres de fond … en plein Pacifique. Autant dire que si nous mettons le pied du mauvais côté, on tombe de haut. C’est fou quand-même ce relief : 3000 mètres sous le niveau de la mer, 50 cm au dessus du niveau de la mer, 30 mètres sous le niveau de la mer, voilà à quoi ressemble la « skyline » des Tuamotus.
Quand je pense aux navigateurs qui sillonnaient les eaux du monde à la découverte d’autre chose, aux tribus nomades qui sont parties des différentes côtes continentales, qui suivaient les lunes et les étoiles, et qui découvraient ces « terres » au milieu de tout ce bleu, sans savoir qu’ils allaient les rencontrer, les trouver là, sans savoir ce qu’il y aurait plus loin à découvrir, quelque chose … ou rien, qui naviguaient sur ces étendues bleues infinies, pacifiques et pas cifiques que ça non plus puisque cet océan est si vaste qu’il en est influencé par des systèmes météo très variés, donc pas toujours agréable à vivre … Ces hommes et ces femmes eux étaient vraiment courageux, admirables ! Pour nous c’est tout facile, on a tout pour se simplifier la vie, le confort, les instruments, la connaissance, l’accès à l’information, un abri qui ne prend pas l’eau et qui tient bien la mer …
C’est joli aussi d’apprendre comment les pêcheurs, navigateurs et autres baroudeurs se repéraient entre les différents atolls et archipels : hormis les étoiles pour les guider de nuit, le jour ils se fiaient à la couleur du ciel, et plus exactement à la couleur des nuages ! D’où l’importance d’avoir des nuages sous ces latitudes ! Car le soleil reflète la couleur du lagon sous les nuages, et le colore par en-bas, eh oui ! La première fois que j’ai vu un nuage vert, turquoise, j’ai nettoyé mes lunettes, j’ai frotté mes yeux, et je me suis dit que je devais être la seule à les voir comme ça, étranges. Je sais qu’un nuage n’est pas blanc, ni gris, ni noir, et qu’ils mélangent foultitude de teintes, mais là, il était vraiment très vert … Et puis ça c’est reproduit plusieurs fois, et puis j’ai compris, et d’autres autour de moi l’ont constaté aussi, en ont été ravis. Aujourd’hui d’ailleurs j’ai réussi le premier ciel polynésien au crayon, dont je suis assez contente ! Aquarelle et gouache, c’est plus compliqué, mais je ne désespère pas. C’est juste plus long, il faut que le papier sèche entre les coups de pinceau, moins pratique de sortir tout le matériel, alors qu’au crayon, ça s’arrête et ça se reprend facilement … mais bon, je suis looooin d’avoir utilisé tout mon papier !!
Mercredi 31 aout 2022 – « Au bonheur des kitesurfeurs »
Rholalalalala si vous saviez comme c’est bon !!!
Ici le vent est « rentré » hier, enfin, on a pu sortir la 12 et la 9, j’ai pu naviguer avec les deux, quel bonheur de glisser sur cette eau plate, oui, complètement plate puisqu’on a le nez collé à l’anneau coralien, on a entre 50 cm et 5 mètres sous la planche, eau plate donc, et turquoise, quasi pas de patates de corail dans le coin, contrairement à Toau où l’eau était dangereuse pour les gens, les patates dressées vers le ciel dans très peu d’eau, hérissées et abrasives, parfaites pour un ponçage très grossier et douloureux.
Enfin, je dis le vent est rentré, mais le voilà déjà presque reparti, en tout cas plus calme ce matin. Les voiles sont prêtes, Hervé guette la moindre fenêtre de vent suffisamment portant pour se jeter à l’eau. On vient de finir le petit déjeuner, l’estomac un peu plein pour aller naviguer, mais il faut profiter des airs quand ils sont là. -le temps d’écrire un paragraphe ou deux, et le voilà parti à l’eau-
J’ai bien amélioré mes bases, je transitionne (virement de bord) facilement et joliment, j’ai presque envie de m’intéresser d’un peu plus près à la manière d’initier les sauts, histoire de mettre un peu de variété dans mes bords, et puis il faut que je travaille la prise de coffre (arrêt net sur place à la bouée, avec pose délicate de la voile sur l’eau, pour pouvoir accrocher la voile à la bouée et rejoindre le bateau à la nage) et la navigation en « toe side », c’est à dire sur les doigts de pieds plutôt que sur les talons. Ca permet des virements de bord différents, voire des empannages, et potentiellement, pour ceux qui veulent vraiment progresser, d’aller vers des sauts et des figures un peu plus enlevées, envolées. Mais non, pour l’instant, je reste bien accrochée à ma planche sur l’eau, pas question de décoller.
Hervé s’exerce à sauter, à trouver la bonne synchronisation de tous les mouvements, et quand il n’est pas trop loin du bateau et qu’il réussit, j’entends ses « whouhous » tout joyeux et ses « aïeaïeaïe » mais globalement il progresse bien lui aussi ! Il faut dire que chaque fois qu’il part à l’eau, il se fixe un-deux objectifs : améliorer un truc, en essayer un autre, etc…
On va rester sur Tahanea encore cette semaine puisque le vent d’Est y est annoncé, et le 4 ou le 5 on va filer sur Makemo (70 miles, une navigation de 14-15h, on partira en fin de journée) pour mettre le cap une dernière fois vers l’Est pendant les 2 jours où le vent est supposé tomber, puis être à nouveau dans un atoll quand le vent remontera. Et … le frigo commence à avoir triste mine, on a encore quelques produits frais mais plus des masses. On risque plus de ne pas pouvoir satisfaire notre gourmandise, que de mourir de faim !
Après Makemo, ce sera le moment de monter au nord-est en visant les Marquises, avec un stop prévu à Raroia pour attendre la bonne fenêtre pour les derniers 400 miles. J’ai hâte d’aller découvrir ces iles hautes, même si cela veut dire qu’on ne profitera plus de l’eau comme dans les Tuam. Mais on sera enfin à nouveau dans la découverte, et ça c’est fondamental.
Hervé passe et repasse à l’avant du bateau, il se fait plaisir, le vent est à 16 en moyenne donc il navigue avec le tracteur (la 12 m2 et la grande planche), ce qui veut dire que je serai bien avec la 9 et la petite planche aux pieds, qui est plus légère et plus nerveuse, donc beaucoup plus sympa à naviguer- Ahha, il vient de se casser la figure, la voile vient de claquer sur l’eau …
Pour m’alléger, à défaut d’arrêter de manger, je me suis coupé les cheveux ; j’en avais marre d’avoir cette masse qui me prenait la tête et la nuque, alors j’ai attaqué « à l’aveugle », juste au ressenti de mes doigts, et j’ai coupé tout ce qui était trop long depuis les oreilles jusqu’à la nuque, et puis après j’ai taillé un peu dans les longueurs dessus devant, et Hervé a juste eu à finaliser la nuque à la tondeuse. Quel bien ça fait d’avoir la tignasse raccourcie 🙂 et le coup de ciseaux un peu trop radical sur l’arrière tribord aura disparu dans 15 jours, haha ! de toute façon, personne ne le voit …