On est arrivés à Huahine (prononcez Ouaïné) sans anicroches avec un faible vent. L’atoll de Huahine est en fait composé de deux îles serties dans le même lagon : Huahine Nui (la grande, celle du nord) et Huahine Iit (la petite, à son sud) reliées entre elles par un petit pont à colonnades, un genre un peu particulier pour la Polynésie. Plusieurs légendes évoquent l’origine de ces îles, nées au cœur du même lagon, ne formant qu’une jusqu’à ce que la pirogue de Hiro, dieu des voleurs, ne la coupe en deux lors d’un beau coup de vent. Alarmé par cet évènement, Hiro lança son hameçon pour se raccrocher à la terre, et perdit sa pagaie qui vint fracasser la roche. En témoignent encore une échancrure béante dans le basalte, et un piton bien dressé haut dans le ciel, roche qui est nommée le Sexe de Hori. Puisque la légende dit aussi qu’en mémoire des vahinés qui ont longtemps batifolé autour de Hiro, il y a laissé la trace de ses attributs. La silhouette de Huahiné évoquerait celle d’une femme alanguie, en mémoire de Hiro et de ses exploits. J’ai beaucoup cherché, je n’ai pas trouvé.
Le tour des deux îles, c’est 60 à 70 km de route plutôt plate, et parfois sérieusement raide. Quelques monts grimpent à 400 voire 600m au-dessus du lagon, mais aucun sentier balisé pour partir en randonnée. On a passé une première nuit dans la baie de Fare, en face de la passe du nord de la côte ouest, pas loin du Yacht Club réputé pour ses Happy Hours au coucher du soleil, et on en a profité pour visiter la rue principale (200 mètres de long) du village principal de l’ile.
Hormis un supermarché, un resto, deux pensions, une banque, un “front de mer” ouvert sur le lagon « organisé » autour du quai où viennent accoster les gros navires marchands et commerciaux, il n’y a rien qu’une vie hyper calme et toute tranquille, composée de petites maisonnettes chacune sur son lopin de terre, des enfants qui profitent de l’eau calme pour jouer dans un élément frais, et puis si, au bout de la rue, quelques roulottes qui se préparent pour accueillir les gourmands du soir. Les roulottes c’est sympa, c’est l’endroit où la vie se passe en fin de journée, les gens viennent y chercher leur portion de repas : on y mange pour 10-20 francs et on a l’embarras du choix d’un repas tout prêt à déguster au bord de l’eau, assis sur le muret ou sur une chaise en plastique. A base d’aliments frais : les poissons crus à toutes les modes (tahitienne, chinoise, thai, carpaccio, tartare, sashimi …) ; sinon on attaque le rayon surgelé, avec ses steaks frites, hamburgers, et autres plats « légers » …
On descend au sud de Huahine Iti, en espérant pouvoir profiter des quelques 15 nœuds de vent qui s’annoncent, mais malheureusement ils ne seront jamais au rendez-vous. Par contre, c’est la houle qui s’est levée, 3m à 3m50 au large, en dehors du lagon. Les murailles d’eau viennent s’écraser sur le reef, provocant des rouleaux continus blanc, moussus, turquoise, qui se détachent du bleu outremer de l’océan juste derrière et du turquoise très clair juste devant. Le ressac est tel que ça déferle aussi dans le lagon, ce qui provoque des courants importants et des mouvements peu confortables, on roule on roule on roule au mouillage. Du coup, tant qu’à rouler, on part visiter l’ile en vélo.
Tour de Huihine Iti sur nos biclous, on part gaillards avec chacun notre litre d’eau sur le dos, se disant « on trouvera bien un snack ou une gargote ou une épicerie en route pour se ravitailler ». On a fait le tour, tout le tour, avant de ne pouvoir boire quelque chose de frais à nouveau à notre point de départ quelques heures plus tard. Il y a 4 villages sur cette petite île (33 km parcourus avec nos vélos) qui sont en fait des rassemblements de baraques et maisonnettes autour d’une borne d’eau potable, avec une école (un toit sur des plots, un tableau sur roulettes pour le maître), quelques jeux pour enfants à l’abri d’un toit de feuilles, parfois une annexe de mairie (seul bâtiment fermé par des fenêtres et une porte avec une clé), une église évangéliste du 7me jour (c’est d’ailleurs le seul endroit où on voit des chaises) parfois avec des murs, parfois seulement un toit au-dessus de l’autel, et c’est tout. C’est vrai aussi que dans ce pays, la beauté est partout dans la nature, proche, à portée de main. Alors pourquoi s’enfermer entre 4 murs et devoir regarder par la fenêtre … ? Pas de vie commerçante, pas de vie « culturelle » affichée, quasi personne dehors en fait, hormis les enfants en classe d’eau, accompagnés par quelques parents.
Tout autour de l’ile (il n’y a pas de route traversière, on ne peut que tourner en rond), on roule sur une route en super bon état, seuls, sans rencontrer personne, au milieu d’une végétation magnifique, verte, foisonnante, variée, où les fruitiers (bananes, mangues, buissons de passion, …) se mêlent aux plus grands arbres, parfois feuillus parfois épineux, les falcata, aito, apape et autres anuhe. Juste la nature, la roche basaltique, la terre rouge, la végétation dans tous ses dégradés de vert, et tout autour, tout près et au loin, le bleu de l’eau et ses variations infinies. Les oiseaux aussi, les poules, les coqs, les chiens. On emprunte une petite route qui s’éloigne du front de mer et qui s’enfonce dans la vallée, on roule sur cette terre rougie, et on se balade au milieu des plantations, taros (tubercule riche en fluor, qui a des feuilles en forme de cœur accrochées au bout de leur longue tige), cocos, urus, fruits variés et autres plantes qu’on ne connait pas. Les habitants ici travaillent leur terre, elle est riche, humide, fertile, tout y pousse, ça leur permet de vivre simplement avec leurs poules et de temps à autre un aller-retour à l’épicerie.
Retour à notre point de départ, on emprunte à nouveau avec nos vélos le ponton de l’hôtel où on a débarqué et laissé l’annexe en sécurité, on remet nos vélos sur l’annexe, on retourne au bateau avec l’annexe et les vélos, on débarque les vélos sur Myriades, on attache l’annexe, on rince les vélos, on démonte les roues des vélos, on remet les vélos dans la cabine arrière, on remonte l’annexe sur son arceau, on démarre le moteur, on lève l’ancre, et on change de mouillage pour trouver un endroit moins rouleur pour y passer la nuit en attendant que la houle se calme. Puisqu’on roule on roule on roule …
Mahana mā’a : samedi. Le samedi à Fare (prononcez Faré), capitale de Huahine, ça veut dire « lendemain de vendredi » … et le vendredi en fin de journée à Fare, c’est LE moment de la semaine où tout le monde débarque au Yacht Club pour le Happy Hours, et surtout pour danser, zouker, bringuer et se déhancher au rythme de la musique locale, voire la musique internationale mais sérieusement réinterprétée à la mode locale … Et les Happy Hours du Yacht Club sont fameux, réputés, mouvementés, bruyants, marrants, pas vraiment gourmands, mais sympa, joyeux, colorés, festifs, tout le monde est là, local ou popa, ça discute, ça chahute, ça rit, ça crie, ça s’amuse et ça chante à tue-tête. L’orchestre : 3 bonhommes tout ronds, aussi larges que hauts, assis sur leur tabouret, chacun son petit écran devant les yeux pour y suivre sa partition ou son texte, les cheveux raz, à moitié décolorés en blond sur le dessus (mode très courue en PF), l’un au synthé, l’autre à la guitare électrique, le troisième .. mhhhh, laissez-moi réfléchir, le troisième était seulement à la seconde voix. Le chanteur principal utilise un vocodeur, un autotune qui apporte plein de sonorité métalliques, synthétiques à ses mélodies, les chansons sont souvent de composition locale et racontent la vie d’ici, et parfois on devine la reprise d’un tube de Céline Dion ou autres artistes francophones. Ces trois musiciens ont commencé leur prestation à 17h, et quand on s’est couchés vers 23h, on a pu s’endormir au son de leur musique … on a appris le lendemain que « comme d’hab, ça c’est fini en baston » … il faut dire qu’ils ont la descente facile par ici, et surtout qu’ils aiment s’amuser, rigoler, roucouler, danser, partager, vivre complètement là, ici et maintenant.
On est à Fare pour visiter Huahine Nui (la grande ile), toujours avec nos vélos. Pareil que pour la petite Huahine, on bénéficie d’une route en super bon état, et on se balade en pleine nature. Entre Fare et l’aéroport, il y a pas mal d’habitations en bord de route. On longe le lac intérieur du nord de l’ile pour aller jusqu’à la pointe du motu de l’aéroport, et on est assez surpris de constater à quel point il est luxuriant en termes de végétation. Ici on y trouve beaucoup d’espaces cultivés, cocoteraies et champs de pastèques, pota et autres.
On est partis contre le vent, au nord, et on a fait le tour de l’île dans le sens horaire, on pédale entre jardins bien entretenus et jungle sauvage qui monte à 600m d’altitude. Avec nos petits vélos on a quand-même fait 350m de dénivelé positif, sur une super courte distance … les panneaux indiquaient une pente de 30%. On ne vous cachera pas que nous avons poussé les vélos sur quelques dizaines de mètres, et nous en sommes redescendus quand c’était trop pentu, trop peur que nos freins nous lâchent !!
Sur la route, on passe devant le trou aux Anguilles sacrées ; elles sont énormes (puisque pas chassées) et nous regardent fixement, bizarrement, avec leurs grands yeux bleus. Qu’ont-elles de sacré ? nous n’avons rencontré personne qui puisse nous l’expliquer.
Mais je vous livre le fruit de mes recherches googeléennes :
« L’anguille à oreilles ou puhi tari’a est un motif culturel qui occupe une place prépondérante dans la mythologie polynésienne. Ainsi, plusieurs versions racontent l’origine du cocotier au travers du thème d’une anguille divine, donc prestigieuse et sacrée, de la tête de laquelle aurait germé le premier cocotier, arbre de vie par excellence aux usages multiples et bienfaiteurs.
Puhi en tahitien est une notion qui renvoie au concept de matrice (pū) d’où jaillit (hī) la matière, les éléments, les êtres. L’anguille serait donc perçue tel un réceptacle d’où jaillirait la vie, et qui aurait été originellement créée in illo tempore, à partir des intestins de Ta’aroa, divinité première et tutélaire qui créa l’Univers polynésien, toute chose et tout être. Manavā en tahitien, les intestins, les entrailles, sont considérés par les Polynésiens comme étant le siège des émotions les plus fortes, de la toute puissance spirituelle et vitale de l’individu.
Préservées, choyées voire divinisées par les Polynésiens, la présence de puhi tari’a dans un ruisseau, un cours d’eau, une source, est signe de vie et d’abondance, celles-ci participant d’ailleurs à la pureté de l’eau qu’elles filtrent tout comme les « chevrettes » ou crevettes d’eau douce locales ».
Et puis on visite aussi l’un de plus importants lieux de culte des iles de la Société : le marae de Manunu. Il s’étend sur une très grande superficie, et aurait abrité une nombreuse communauté, ce qui incluait les lieux d’habitation communs (beaucoup de farés), les espaces de culture (des terrasses aménagées dans la roche), les lieux de culte (les plateformes en basalte), les lieux d’accueil et de réception. Dans un joli musée bien aménagé, on y découvre les vestiges grâce aux photos, dessins et autres (re)productions artisanales bien conservées.
Face au lagon digne d’un Léman par jour de grosse Bise, on apprécie le zèle des surfeurs locaux, qu’ils soient sur leur planche ou dans leur va’a. Les vagues sont vraiment impressionnantes, puisque d’habitude ici c’est vraiment très calme, donc très plat. Là, elles arrivent par 5 ou 7 à la suite les unes des autres, très rapprochées, gros rouleaux turquoise bordés de blanc, déboulant à fond de train sur la plage avec leur lot de surfeurs, les uns en lycra rouge, les autres en t-shirt blanc, les derniers presque les fesses à l’air, sur leur long board et leur planche multicolore, et puis après, hop, tout calme, plus rien pendant un quart d’heure. Un vrai pestacle, c’est magnifique !
Grâce à cette forte houle, le lagon est mouvementé dans tous les sens, les courants sont violents par endroit, inexistant la seconde d’après, vont dans toutes les directions, parfois l’eau « bout » puis 5 mètres plus loin elle est glacis, les bateaux font des 360 sur leur ancre, Myriades aussi, mais on est plutôt « à plat » sur le platier, on a trouvé un endroit à peu près calme.
Et puis à Huahine on découvre que lors de la Fête des mères, toutes les mamans sont couronnées puisqu’elles sont les reines de la journée ; enfin, de bien plus qu’une seule journée. Et à nouveau, dans ces moments festifs, la nature est au cœur de la culture polynésienne, et c’est évidemment à l’aide de matériaux végétaux et plus ou moins de fleurs que les mères altières sont couronnées. C’est très odorant, et magnifique de voir toutes ces têtes colorées. Le seul hic : il faut se lever tôt pour aller chercher les couronnes fleuries. Donc la mienne est très végétale 😉
Prochaine étape : retour à Tahiti pour retrouver nos amis de Fayal et remplir les frigos, avant de repartir sur les Tuamotu.
Bisous bisous doux à vous de nous