Le plaisir du voyage à deux est toujours intact.

Ça fait trente ans qu’on s’est aperçus pour la première fois, première rencontre.

Et là ça fait presque trois ans qu’on vit collés serrés sur nos 45 pieds, seconde rencontre ; car vivre ensemble avec nos lulus en travaillant à 100%, et vivre ensemble H24 l’un avec l’autre sur la même coquille de noix en vadrouille, ce n’est pas tout à fait la même chose.

Les journées se suivent et parfois se ressemblent, parfois apportent leur lot de découvertes et de variété, cela dépend beaucoup du lieu où on se trouve, et du temps qu’on y passe.

Ce qui rend notre voyage plaisant c’est justement les rencontres. Pouvoir avancer, aller de l’avant, approcher une terre inconnue, accoster sur un autre rivage, atteindre un endroit imaginé et le découvrir. Rencontrer un nouvel horizon, d’autres manières de vivre, des gens qui respirent le même air que nous, et là s’arrêtent toutes les comparaisons avec ces personnes que nous rencontrons.

Ce n’est pas toujours aisé d’aller à la rencontre d’autres personnes avec qui, d’un premier abord, on n’a rien en commun. Trouver le moyen de rentrer en contact, d’avoir un premier échange, cela reste aisé. Mais tous ne sont pas enclins à se livrer et se découvrir au bout de 3 minutes de conversation autour du joli minois de leur enfant, ou dans la file d’attente à la poste, ou à l’épicerie … bien normal.  Et nous ne sommes pas des ethnologues missionnés pour aller découvrir de nouveaux humains 😉 qui débarquent avec questionnaires et caméscope, en quête de contacts à tout prix.

Depuis que nous avons quitté les Canaries, notre statut de navigateurs nous met fortement à part des populations locales en fait. Parce que nous sommes des inconnus, et qu’on représente quelque chose qui ne sera a priori jamais accessible pour eux ; on est des curiosités à leurs yeux, des espèces d’ovni, et aussi des sacs de dollars sur pattes. C’est une lorgnette par laquelle il n’est pas aisé de regarder l’autre, ni de l’aborder.

Bien sûr, rencontrer d’autres navigateurs c’est facile. Ça accroche tout de suite « et toi tu viens d’où ? et tes problèmes techniques ? … ta vitesse de traversée ? » et c’est parti, à peine on a le temps de poser l’amarre au taquet du ponton (ou à la bouée, ou l’ancre, ou …) que les discussions s’emmanchent.

A terre, les personnes avec qui on a pu avoir des échanges sympas sont des personnes qui se sont éloignées des schémas de vie traditionnels, et aussi des personnes qui nous ont été recommandées par d’autres personnes, qui elles avaient pu prendre le temps (de longs mois) pour aller à leur rencontre, et développer un lien d’amitié ou d’entraide. C’est plus facile d’aller à la rencontre de quelqu’un qui a quelque chose à raconter, ou avec qui on sait qu’on a un point commun.

Dans les jolies rencontres, voilà une fenêtre ouverte sur la vie de Louise et Rémi, Marie-Noelle et Bernard, et puis de Valérie et Hervé, trois couples des Gambiers.

Les plus roots

Notre premier contact « local » aux Gambiers s’est fait sur l’ile de Aukena, où nous avons débarqué en annexe avec Hugo et Hervé, en allant à la rencontre de Bernard et Marie-Noelle. On savait juste qu’ils cultivent le citron et vivent seuls sur leur petite île.

On arrive sur le sable blond, au milieu des cocotiers, arbres à pain, pandanus et autres arbres halophiles, et bien sûr, plein de citronniers sauvages au milieu de la brousse. Les chiens nous accueillent à coups de grandes léchouilles et jappements sympathiques. On appelle « Bernard ???!? » … silence … « Marie-Noelle ??!? » … silence.  Puis arrive du fond de son jardin-brousse un magarévien de peut-être 55-60 ans ? casquette vissée sur la tête, vieux short élimé, ceinture de corde, pieds nus, avec un grand sourire lumineux. « Salut moi c’est Bernard, bienvenue sur mon ile ». On s’annonce comme « les amis de Kalim (bateau copain) » et tout de suite on sent une plus grande ouverture.

Au milieu des poules, chiens, chats, on visite leur terrain qui s’étend sur un beau morceau de l’ile et la traverse d’une rive à l’autre. C’est l’heure de nourrir cette joyeuse troupe à poils et à plumes, alors Bernard se dirige vers les cocotiers proches de la maison, et fend une dizaine de noix de coco, d’un coup de machette bien senti (pieds nus …). Toute la basse-cour s’empresse de venir croquer, picorer et s’en donne à cœur joie. Même les cochons débarquent pour participer au festin. C’est quand-même difficile de mourir de faim sous ces latitudes, la nature est tellement généreuse.

On se demande à quoi ressemble l’uru, ce fameux fruit proche de la pomme de terre .. ni une ni deux, Bernard propose à Hugo d’aller en cueillir, et puis tant qu’à faire, d’aller voir le trou qui lui permet de passer de l’autre côté de l’ile. Les voilà partis en rando, pieds nus, pour une petite demi-heure, pendant qu’on discutaille les pieds dans l’eau.

Au bord de la plage, un abri composé de quelques planches permet de mettre un toit au-dessus d’un bric à brac crasse, une grande table en bois et ses bancs accueillent les hôtes de passage, et en retrait, plantée dans une pelouse bien dense, la maison de Marie-Noëlle et Bernard, faite de tôle et de contre-plaqué juchée sur ses plots de béton, coiffée de ses quelques panneaux solaires. Comme ailleurs, les rideaux cachent des intérieurs relativement spartiates mais aux canapés souvent confortables pour s’alanguir en fin de journée une bibine à la main devant la lucarne carrée et animée.

On part à la recherche de Marie-Noëlle au milieu de ses citronniers, elle est en pleine cueillette. Elle prend quand-même le temps de s’arrêter et de discuter un peu, mais elle est pas mal sur la réserve quand-même. Il faut dire qu’on débarque sans s’annoncer, donc on ne sait pas quand c’est vraiment le bon moment … malgré le fait que tout le monde dit « vas-y quand tu veux, tu ne déranges jamais ».

De fil en aiguille, on arrive à échanger un peu autour de la table où se dispute une partie de backgammon entre Hervé et Bernard. Marie-Noëlle est Tahitienne, Bernard est de Mangareva, sa famille possède pas mal de terres. Leurs trois filles sont à Tahiti. Elles ont quitté les Gambiers à l’âge de 10 ans pour suivre leur scolarité à Tahiti, et ne rentraient à Aukena que le temps des vacances, trois fois par an. Ils vivent là seuls tous les deux, et ne fréquentent pas leurs voisins sur l’ile, qui sont des employés chinois de fermes perlières ; Bernard et Marie-Noëlle sont des patrons, et vraisemblablement « on ne se mélange pas ». Ils cultivent le citron depuis plus de 20 ans, et seraient le premier producteur polynésien de citrons. Carrefour est leur client principal à Papeete, et c’est l’une de leurs filles qui se chargent d’accueillir les livraisons (qui transitent par cargo chaque trois semaines) avec le responsable de Carrefour, et qui entretient les relations avec les clients. Les conversations ne sont pas faciles, on partage surtout le moment plus que le discours.

partie sérieuse entre Bernard et Hervé

Avant de repartir, je demande à Marie-Noëlle si je peux lui acheter quelques kilos de citrons, elle me dit oui bien sûr. Et lorsque je veux la payer, elle me demande si je n’ai pas plutôt une bouteille de rhum … prise de cours, je lui dis oui, alors que je m’étais jurée de ne jamais troquer quoi que ce soit contre de l’alcool … Les citrons étaient délicieux, mais bien trop cher payés !

Les plus mixes

Après les citronculteurs, on va rendre visite aux perliculteurs, Rémi et Louise sur l’ile de Akamaru. C’est au pied de cet îlot que se trouve la piscine, ou l’aquarium, grand bassin d’eau peu profonde protégée par le platier. Autant dire que l’eau y est transparente et turquoise, un régal pour les yeux. Dans ce bassin, un chien de garde, ou plutôt une carangue grise de garde : un énorme poisson de 1 bon mètre 50, gris clair ou foncé selon les nuages, avec une gueule grande comme ça ! Dès que tu poses l’ancre, elle déboule et vient voir qui tu es, ce que tu peux lui donner à manger. On l’a nourrie pour pouvoir l’observer de près, et je peux vous dire que les deux gars ne faisaient pas les malins et retiraient vite leurs mains de l’eau quand elle approchait de près ! Son chéri a été tué car il était agressif, mais elle, Jacqueline, ne l’est pas. On a aucune idée de son âge, mais vu la taille elle doit avoir fait un sacré nombre de tours dans son bocal. Et bien évidemment, personne n’a le droit de la chasser !! pourtant la carangue grise, c’est super bon ! mais Jacqueline, elle est aussi réputée que le Loup Blanc …

ce n’est pas Jacqueline sur la photo, mais sa soeur (même tête, même taille)

Rémi a débarqué aux Gambiers il y a 20 ans, après une longue période de navigation avec ses parents, puis il a atterri ici avec son père. Il y a rencontré Louise, magarévienne, et ils vivent tous les deux sur une maisonnette flottant sur deux longues coques étroites, toit prévu pour récupérer l’eau de pluie, petit catamaran sans mât posé au milieu de cette jolie piscine, à l’abri des ilots environnants. Leur fils de 7 ans vit chez sa grand-mère, au village (bien plus pratique pour l’école), et vient les voir le weekend.

On débarque chez eux à l’improviste, voyant leur petit bateau à moteur amarré à leur maison flottante. On se salue, ils nous invitent à monter à bord, et on s’installe naturellement autour de la table à laquelle ils étaient occupés, épluchant ce qui nous semblait être des cacahuètes de loin. Mais c’était du café ! ils ramassent le café sauvage, le font sécher pour le peler après l’avoir écossé, puis le font torréfier et finalement le moulent pour pouvoir boire un bon café local et naturel, plutôt que des succédanés internationaux en poudre … On a passé une heure à nettoyer les grains tout en discutant de leur vie, de leurs cultures, puisque pour lâcher la perle (Rémi en a marre de passer sa vie mouillé) ils se sont mis à la culture de la vanille et de toutes sortes de légumes qui poussent facilement dans leur joli jardin.

Voilà leur jolie petite maison flottante, et j’aime bien leur piscine …

 

Rémi a travaillé pendant plus de 20 ans dans la perliculture, plongeant pendant 12 à 14 heures par jour pour aller chercher les nacres, les laver et les débarrasser de leurs parasites. Il a investi temps et argent pendant toutes ces années, sans revenu pendant les 4-5 premiers ans, achetant ses nacres, greffant ses huitres, récoltant ses premières petites perles au bout de 18 mois, puis regreffant pour obtenir des perles de plus en plus grosses 18 mois plus tard. Travail de longue haleine qui a bien porté ses fruits, puisqu’ils se sont taillé une belle réputation dans les Gambiers : Rémi et Louise prennent en effet le temps justement d’accueillir leurs clients, de leur raconter, de leur expliquer, leur montrer, et on a le temps d’une vraie rencontre. Après les perles, ils sont tout contents de nous montrer leur bout de terrain cultivé.

Pour installer leur jardin, il leur a fallu d’abord défricher la jungle, à coup de feu et de machette pour abattre les arbres, puis attaquer à la débroussailleuse, binette et autres outils simples pour nettoyer et préparer le terrain. Rémi nous raconte toutes les contraintes liées à la culture de la vanille, similaires que les perles en terme d’investissement (premières récoltes après des années) et puis surtout il faut tout installer : trouver les bons tuteurs (donc faire pousser les bons arbres pour avoir la bonne ombre, à la bonne hauteur), protéger les plans et le terrain (vol vol vol), marier les fleurs (les polliniser) pour qu’elles donnent des gousses, et une fois que tu as les premières gousses vertes et bien dodues, gros haricots charnus, il faut les faire sécher pendant 6 mois, à raison de une heure par jour au soleil, et les masser pour que la gousse sèche de manière souple et harmonieuse. Ils vendent 25 euros les 5 gousses de vanille. Bio. Belle. Bonne. Réputée. Travail plus doux sur le long terme que la perle, et plus rentable.

Les plus accueillants

Et puis notre couple « coup de cœur », c’est Hervé et Valérie, sur la petite île de Taravai, aux Gambiers toujours. Ils ont une quarantaine bien entamée, deux garçons de 18 et 12 ans, Alan et Ariki (joli prénom qui veut dire Petit Roi) et vivent « isolés » sur leur ilot depuis 15 ans, par choix. Isolés entre guillemets, car ils ont sans cesse de la visite chez eux : ils ont lancé depuis le début le concept de barbecue-pétanque-beach volley le dimanche à midi pour les voileux qui passent aux Gambiers. Ils fournissent la viande et les terrains de jeux, et les équipages apportent tout le reste. Ce qui fait qu’ils sont hyper accueillants, joviaux, heureux de nous voir débarquer, et ravis de voir défiler chez eux tant de monde. Valérie est Tahitienne, elle y travaillait comme guide touristique, et Hervé lui est de Taravai, il a fait son lycée à Tahiti et y a bossé quelques années. Et puis quand leur premier fils est né, ils ont décidé de rentrer à Taravai et que leur travail devait leur permettre de vivre de manière autonome, de produire ce dont ils ont besoin pour manger annuellement (légumes, fruits, viande (cochon, chèvre, poulet), œufs, pain) en plus de la pêche, sans devoir travailler pour gagner de l’argent pour acheter à manger. Ils n’achètent (ou troquent) que la farine, les pâtes, la bière (beaucoup de bière), et ce genre de produits. Et ca leur laisse du temps pour vivre, vivre avec leurs garçons, profiter de cette nature si généreuse, et savourer le doux rythme polynésien. Valérie réalise des tableaux en sable, qu’elle vend, et Hervé vend les produits de leur jardin. Pour rien au monde ils retourneraient vivre « au village » ou pire, à Tahiti.

Les garçons étudient à distance, vive le CNED une fois de plus, et Alan est parti à Tahiti pour y faire son lycée, puisque l’école locale instruit les enfants seulement jusqu’à la fin du collège. Tous les quatre sont hyper souriants, accueillants, discutent avec grand plaisir, pas sauvages du tout, et perpétuent cette magnifique tradition de l’accueil polynésien. Naturellement généreux, naturellement partageurs, ils jouent les « animateurs » chacun à leur tour quand plusieurs bateaux sont là, pour animer une partie de pétanque (ils connaissent tous les bons coins de leur terrain pour gagner à tous les coups), chanter en chœur tous les quatre au son de leur ukulélé, ou poser quelques questions qui incitent chacun à se raconter, tout en étant super fiers de raconter leur mode de vie, les raisons qui les ont poussés à adopter cette vie, et le bonheur qu’ils ont à vivre au rythme de la nature.

Il faut voir leur maison, dont ils sont si fiers !! elle est composée de 2 cabanes en tôle ondulée, contre-plaqué, planche en contre-plaqué pour faire les volets, rideaux en guise de fenêtre, sauf la façade côté mer qui elle est ornée de magnifiques fenêtres à petits carreaux ; les 2 pièces sont posées sur plots de béton pour isoler les pièces de l’humidité du terrain, et stocker du matériel à l’abri.

L’une de ces cabanes est la cuisine-salon, avec deux fauteuils, une télé, une immense table accueillante, quelques tabourets, un évier, un fourneau à gaz, un frigo et un énorme congélateur.

L’autre de ces cabanes est l’espace nuit, une grande pièce dans laquelle chacun des garçons ont leur propre matelas, et les parents le leur commun. Pas de cloisons intérieures, pas de séparations permettant un minimum d’intimité, rien. Spartiate.

A quelques mètres des cabanes, une palissade en bambou abrite la salle de bain (un gros bidon de 100 litres récolte l’eau de pluie, dans le bidon se trouve un petit récipient pour se vider l’eau sur la tête, et l’eau s’écoule directement dans l’herbe), et puis à quelques mètres encore un abri sans portes ni fenêtre, mais avec les ouvertures idoines et les rideaux traditionnels, dont la moitié sert d’atelier et l’autre moitié, avec vue sur la mer, sert de WC. Là aussi, le seau qu’on remplit d’eau dans le gros bidon de la salle de bain, et le plus petit récipient pour tirer la chasse (canalisation qui part directement dans la mer à 50 mètres).

Ils nous disent qu’ils y sont super bien, que c’est leur paradis sur terre, qu’ils n’ont jamais froid et ne manquent de rien. Et, ravis, ils annoncent qu’ils ont le grand projet de construite une cabane supplémentaire pour y faire le studio de Hervé et Valérie, parce que quand-même, les garçons deviennent un peu grands pour dormir encore avec leurs parents …

Mais c’est assez complexe de construire une cabane ou une maison par ici, car tout, absolument tout est apporté par cargo. Lequel cargo utilise une plate pour venir se vautrer sur la plage et décharger sa marchandise, à mains et à la force du bras, donc pas tout simple. Donc leur studio parental sera peut-être sur pieds d’ici un an … C’est ça aussi qui fait le charme des iles polynésiennes !

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